Maryse Vaillant, psychologue clinicienne, auteur de près d'une trentaine de livres sur la famille, l'éducation, le couple, le désir, la féminité, l'adolescence, s'est éteinte à l'âge de 68 ans le 20 janvier dernier. Née en 1944, elle avait publié en 2008 un témoignage sensible sur son cancer du sein, Une année singulière avec mon cancer (Albin Michel), une épreuve dont elle disait ressortir plus forte. Mais la maladie a continué son évolution, ses nausées, ses douleurs, ses métastases osseuses, pulmonaires. Maryse en parlait souvent, à tous, répétant sans trêve qu'il fallait savoir profiter des moments de répit, prendre soin de soi. « Je n'espère pas guérir, ce que j'espère c'est vivre le mieux possible jusqu'au bout, être lucide, je voudrais que ma mort m'appartienne, je n'étais pas là à ma naissance mais ma mort, je voudrais être là, je ne voudrais pas souffrir, j'adore la morphine, j'espère qu'on m'en donnera suffisamment pour que je sois très bien... J'ai quelques mois devant moi, c'est à moi, c'est ma vie, je veux en profiter et je veux que les gens autour de moi sachent que je suis quelqu'un d'heureux et je veux leur donner mon bonheur ; qu'ils soient libres ou libérés, on ne peut pas libérer les autres, mais je voudrais au moins ne pas les charger de ma peine à quitter la vie... »
Maryse Vaillant était une vraie « déchargeuse », elle s'employait depuis des années à briser des tabous, à délier les mots, à désenchaîner les histoires de vie, à nous engager, les uns et les autres, à se dépêtrer de ces liens qui tuent, étouffent, rendent fous ou meurtriers. D'abord éducatrice spécialisée, intervenant dans la cadre de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), elle s'est orientée vers la psychologie, est devenue formatrice, chargée de cours à Paris VII, chargée d'études à la PJJ, à l'Institut de l'enfance et de la famille... Et, avec sa retraite comme elle disait, elle s'est consacrée exclusivement à l'écriture, depuis sa gentilhommière du Finistère. Mais elle parcourait aussi les routes, infatigable, pour des conférences, des colloques ; elle était très régulièrement sollicitée par les médias qui savaient trouver en elle une femme vraie, engagée, sincère et d'une intelligence vive et empathique.
J'ai connu Maryse, il y a des années de cela, en 1984 ou 1985, le temps d'une traversée, comme elle, des océans agités de la Protection judiciaire de la jeunesse, auprès d'enfants et d'adolescents en rupture, en mal d'être et de vie, en carences, en recherche de limites et de cadre. Nous nous sommes ensuite croisés régulièrement, tressant nos histoires professionnelles dans des domaines communs, de la maltraitance à la résilience, de la parentalité à l'éducation... Nous nous sommes succédés parfois sur le plateau des Maternelles sur France 5 et nous avons souvent pouffé alors en évoquant nos familles réciproques et cette incroyable sensation d'être issus d'un magma indicible de vie, de folie, de secrets et de mort. Mais là, Maryse faisait toujours mieux que moi ! À force, je me disais même parfois qu'elle trichait, qu'elle en rajoutait, mais non, c'était sa vie, son histoire et ce qu'elle avait pu en faire.
Maryse, elle était par exemple capable de dire : « Je viens de la névrose familiale, je viens de l'alcoolisme, je viens de la misère, je viens de tragédies, de secrets de famille, je viens d'une région de France que j'ai fuie, je viens d'un milieu social plein de précarité, je suis issu de paysans qui ont raté l'exode rural, qui ont sombré dans l'alcoolisme, faute de trouver des racines, voilà je viens de tout ça. C'est vrai que je n'ai rien oublié, que toutes ces douleurs, ces souffrances familiales, je les ai traversées... » Et c'est cela qui touchait, qui impressionnait, ses paroles vraies comme disait Dolto, ses paroles habitées : elle touchait l'universel, en parlant de son histoire, de sa vie, de ses liens avec sa mère, sa fille, de sa maladie, de son compagnon, du travail, de tout ce qui la touchait et qui, immanquablement, nous concernait.
Elle avait l'art et la manière, Maryse, de dire, de parler, d'écrire, de partager, de transmettre. Je le savais trop bien : combien de fois l'ai-je sollicitée pour participer à des colloques, journées d'études et autres conférences ! Ces dernières années, elle se déplaçait moins, mais écrivait toujours, avec un incroyable élan. Pour érès et les 1001 Bébés, elle écrivit un magnifique petit texte dans nos Cent mots pour les bébés d'aujourd'hui, qui, en 2009, fêtaient le 100ème volume de la collection. Elle l'intitula « Nana », du surnom que sa petite fille de 3 ans lui donnait. De Maryse, notre super Nana de cœur, j'ai aussi publié Au bonheur des grands-mères, dont elle était très fière et qui a paru dans la même collection 1001 Bébés, en 2010. J'écrivais alors, en quatrième de couverture de cet ouvrage, qu'il était « un vrai bonheur, un hymne au bonheur d'être grand-mère aujourd'hui comme hier, un hommage à toutes celles qui ne sont plus et qui pourtant ne disparaissent jamais vraiment. Un pur moment de complicité entre les enfants et leurs mamies, ces héroïnes du XXe siècle, pionnières de la cause des femmes ».
Maryse est de celles-là, héroïnes ordinaires du XXe siècle, témoins extraordinaires de la force créative de la vie et du désir. Ces dernières semaines, elle achevait Autopsie d'une passion qui paraîtra, à titre posthume donc, en mars, aux éditions Les Liens qui libèrent.
Maryse s'est libérée de nous, de sa vie de malade, des contingences d'un siècle vacillant, des hoquets de son histoire familiale. Elle a aussi participé de notre propre libération, émancipation, affranchissement.
Nous sommes un peu plus libres depuis ses livres et ses propos, depuis ce message si vivant qu'elle nous a transmis. Avec ses grands yeux bleus et son rire, éclatant, dont elle ne se départait jamais.
Je lui avais demandé d'écrire un livre pour la nouvelle collection que je dirige chez érès, « 1001 et + », qui est comme une suite temporelle aux « 1001 Bébés » puisqu'elle s'intéresse aux enfants, ceux qui ne sont plus des bébés mais qui ne sont pas encore des adolescents ou qui sont en passe de l'être. Elle était emballée à cette idée de passer en quelques mois des bébés aux plus grands, de son livre sur les grands-mères à ce nouveau projet.
Ce livre n'existera jamais. Maryse nous a quittés avant de l'écrire. Je le garde, comme un regret mais comme un cadeau aussi. Je garde Maryse au fond de moi, comme un magnifique cadeau de la vie...
« Accepter de vivre sous l'emprise du passé, sans la maîtrise du présent, sans la peur de l'avenir. Lâcher la vigilance anxieuse, n'en éprouver ni tension ni pression. Débrancher le fil qui relie à tout ce qui fait mal, les amours, les enfants, les désirs et les peurs. Et rester avec soi-même sans craindre d'être trop seule ou en trop mauvaise compagnie. »
Mes petites machines à vivre (Paris, JC Lattès, 2011)
Patrick Ben Soussan
Directeur de la collection 1001 Bébés et de la revue Spirale
Bibliographie sélective de Maryse Vaillant :
Nouvelle problématiques adolescentes : pratiques institutionnelles en recherche. Paris, L'Harmattan, 2001
La réparation, Paris, Gallimard, 1999.
Les violences du quotidien, avec Christine Laouenan, Paris, La Martinière Jeunesse, 2002.
L'adolescence au quotidien, Paris, Pocket, 2003
Il n'est jamais trop tard pour pardonner à ses parents, La Martinière, 2001.
Pardonner à ses parents, Paris, Pocket, 2004.
Quand les violences vous touchent, avec Christine Laouenan, Paris, La Martinière, 2004.
Vivre avec elle, mère et fille racontent, avec Judith Leroy, Paris, La Martinière, 2004.
Il m'a tuée, Paris, Pocket, 2005.
Range ta chambre, avec Judith Leroy, Paris, Flammarion, 2006.
Comment aiment les femmes, du désir et des hommes, Paris, Le Seuil, 2006.
Cuisine et dépendance affective, avec Judith Leroy, Paris, Flammarion, 2007.
Récits de divan, propos de fauteuil, avec Sophie Carquain, Paris, Albin Michel, 2007.
Une année singulière, avec mon cancer du sein, Paris, Albin Michel, 2008.
Entre sœurs, une question de féminité, avec Sophie Carquain, Paris, Albin Michel, 2008.
Les hommes, l'amour, la fidélité, Paris, Albin Michel, 2009.
Au bonheur des grands-mères, Toulouse, érès, Collection Mille et Un Bébés, 2010.
La répétition amoureuse, sortir de l'échec, avec Sophie Carquain, Paris, Albin Michel, 2010.
Ma famille, mes copains, mon école et moi, avec Judith Leroy, Paris, Pocket Jeunesse, 2010.
Mes petites machines à vivre, oser la tristesse, la solitude et l'ennui, Paris, Jean-Claude Lattès, 2011.
Etre mère : mission impossible ?, Albin Michel, 2011
Sexy soit-elle, Les Liens qui libèrent, 2012.
Pardonner à ses enfants : de la déception à l'apaisement, coécrit avec Sophie Carquain, Albin Michel, 2012.
Maryse Vaillant, dans son joli texte Nana avait écrit les lignes suivantes :
« Mais, ma grand-mère m’avait insufflé le goût du travail et le plaisir de le faire bien. Elle m’a appris la nature, la beauté des roses et le respect que l’on doit aux saisons, la force du vent, celle du soleil et celle de la pluie. Et le battement du temps, son écoulement. Elle m’a appris le silence. » (Cent mots pour les bébés d’aujourd’hui. Réunis par Patrick Ben Soussan, érès, 2009)
Une femme.
MJA