Spirale N° 98
Donald W. Winnicott
aujourd’hui
Coordonné par Joël Clerget
érès 2021
Chapitre 1
Naissance
Réanimation néonatale : si petits
et déjà humains
Dominique Sandre
membre de l’association Société Médecine
et Psychanalyse de Paris, ancien pédiatre-
réanimateur, ex-directeur médical
des PEP de Côtes d’or
Nicole Danesi
psychanalyste, attachée au service de
réanimation néonatale du CHU de Dijon
(1992-2002), conduite d’analyse de pratique
en milieu d’accueil du jeune enfant
Je ne sais pas pourquoi, durant ma lecture, puis durant l’écriture de mon commentaire, j’ai regardé à plusieurs reprises la photo de l’un et de l’autre. J’avais besoin de leurs visages pour écrire. Peut-être parce que ce qu’ils transmettent tous deux est bien difficile : détresse des bébés en risque de mort associée à la détresse parentale. Alors, leurs visages me permettaient de stabiliser quelque chose en moi qui tressaillait.
Mais commençons par le début.
Dominique Sandre et Nicole Danesi, un binôme. L’un est, entre autres fonctions, ancien pédiatre-réanimateur, l’autre était psychanalyste, attachée à un service de réanimation néo-natale et a conduit également une analyse de pratique.
Comment ces deux là se rencontrent-ils dans leur article signé de leur nom mutuel ? L’un emploie un profond « Je » professionnel (Dominique Sandre), l’autre désigne de part en part l’objet de ce qu’elle transmet par cet article. Son « Je » s’affirme par son objet : la parole (Nicole Danesi). Ils parlent et se taisent tour à tour dans une clarté bénéfique au lecteur. Leur style d’écriture différent permet de les identifier aisément. A chaque fois, j’avais la sensation que l’un parlait et que l’autre l’écoutait. Une écriture en plain et délier, une écriture tissée par les pensées de l’un et le silence de l’autre. En alternance. J’ai vécu intensément cette sensation. Deux visages qui nous regardent, l’un donnant le point de vue du pédiatre, l’autre donnant le point de vue de la psychanalyste.
Chacun écoutant l’autre.
Chacun s’adressant à nous.
Notre lecture permet à chaque fois de savoir qui parle.
Le point de vue du pédiatre.
Quatre rencontres essentielles ont déterminé sa pratique. Freud aime le terme d’archéologie. Dominique par le récit de ces quatre rencontres fouille l’archéologie de sa pratique. C’est très beau. Je vous invite à le lire attentivement. Comme si sa pratique était une longue dette envers le professeur Kaplan, envers le professeur Alagille, le professeur Alison et enfin la quatrième rencontre qu’il qualifie de décisive avec le docteur Cramer. En archéologue, il décrit lieux et circonstances de ces rencontres, leur écho et leur ancrage en lui.
Son fil directeur de pédiatre, il l’énonce ainsi, je le cite :
« La présence du psychanalyste est là pour signifier que le bébé soigné n’est pas seulement un corps mais aussi un être humain, qui se construit dans la rencontre avec ses parents et à partir de perceptions qu’il a de son environnement hospitaliers ».
J’ajouterai, un environnement hospitalier suffisamment bon pour permettre, malgré une technologie si nécessaire, de rendre possible le « Holding » comme en témoigne brillamment Dominique Sandre. Ecrit comme cela, ça paraît relever de l’évidence, mais combien nous pressentons que cette approche a dû être difficile à imposer au risque de ceux qui sont engagés dans des identités professionnelles différentes et trop souvent archaïques.
L’enjeu de cette approche est fondamentale. Je le cite encore ou plutôt je le cite citant Catherine Druon « Prise en charge psychologique. La couveuse psychique » p.247-251). Voir référence complète à la note 4.
« Quels restes dans l’après-coup y aura-t-il dans l’histoire de ce vécu en réanimation néonatale ? Un traumatisme ? Un mythe familial ? Y aura-t-il un silence , ou une histoire toujours contée faisant partie du roman familial ? Ou bien un oubli total par évacuation ou par refoulement ? ». Par son choix de citer Catherine Druon, Dominique Sandre pose pleinement le sens et l’enjeu de sa vie professionnelle. Plus loin, il approfondit encore en décrivant avec des mots justes et souvent tragiques la détresse de l’enfant et de la mère qui vivent une séparation nécessaire mais tellement douloureuse, tellement indicible pour les parents, pour le grand vide de la mère aux prises, dit Dominique Sandre avec « son ventre et berceau vides ». A ce point de ma lecture, j’ai regardé leur photo.
Encore un enjeu de leur travail. Je le cite.
« Ces relations premières sont fondamentales dans le processus de la construction psychique du bébé, et de son évolution développementale ultérieur. »
Il décrit sa pratique dans ses aménagements quotidiens avec les parents et les soignants. C’est poignant. Winnicott est là aujourd’hui avec notre technologie si efficace, mais il nous rappelle que dans ces cœurs qui ne doivent surtout pas s’arrêter de battre, il y des bébés, des humains à reconnaître et à respecter. Winnicott est heureux quand il lit Dominique Sandre et Nicole Danesi.
Le point de vue de la psychanalyste
Deux pages très belles dont l’objet est la parole du bébé, de ses parents, des soignants. Une parole qui nous surprend, nous lecteurs et que nous surprenons. Une parole porteuse de vie et du désir conjugué de tous, par tous. Ne pas renoncer à cette conjugaison plurielle au risque de basculer dans une froide, glaciale inhumanité. La parole est chair et « N’est-ce pas cette parole qui permet à l’enfant d’exister, de devenir enfant à part entière, et aux parents d’ébaucher une relation vraie à cet enfant si différent de leurs fantasmes ? » (Dominique Sandre).
L’essentiel est dit.
Trop souvent, la technologie ne veut rien entendre des fantasmes qui tissent, épèlent l’humanité. C’est là le tragique d’une certaine médecine qui n’est pas celle de Dominique Sandre, de Nicole Danesi et de tous ceux, nombreux, qui constituent la bibliographie de ce long article qui m’a fait trembler dans mon présent. Heureusement, la présence de Winnicott et de Dolto m’a rassurée comme une raie de lumière sur le noir de notre époque souvent sans paroles.
Merci Dominique Sandre et Nicole Danesi pour votre outrenoir.
Bonne lecture aux Inventeurs !
Quant à moi, je reprendrai ma toile lundi ! Ce week-end, je m’occuperai des cadeaux… 😊
Marie-José Annenkov