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30 mai 2009 6 30 /05 /mai /2009 17:17
  • Ce dimanche 6 février 2005, j’étais à Paris avec ma famille, 17, rue Geoffroy-Lasnier dans le 4ème arrondissement. Métro Saint-Paul.Nous y étions. Recueillis. Nos yeux fixés sur le mur des noms. 1943. Dansles lignes du haut, j’ai lu : Fortunée Abignoli. 1890 Quelques jours auparavant, par internet, nous avions pris connaissance du convoi –convoi 52 – qui l’avait emportée, elle ma grand-mère, au diminutif chéri d’Hanem, vers Sobibor. C’était simple. Ce dimanche 6 février 2005, je me recueillais enfin en paix devant ces lettres Fortunée Abignoli, devant cette année 1890, son année de naissance, devant 1943, l’année de sa déportation. Ma grand-mère est maintenant logée pour l’éternité avec 76000 autres noms. Eternité, je le sais, c’est de cela qu’il est question. Elle qui avait sombré dans la nuit, dans le brouillard d’un génocide, dans le meurtre et dans l’effacement. Ils l’avaient tuée, puis ils avaient effacé toute trace de leur meurtre, toute trace d’elle, Hanem. Ils l’avaient engloutie dans le néant. Ce néant là avait englouti moi et ma famille dans nos larmesconfisquées, dans mort et culpabilité d’un impossible deuil. Souffrance immense pour chacun d’entre nous, surtout pour toi ma mère. Mon histoire. Je passe.

 


Maman, les hommes n’ont pas renoncé. Ils ont cherché, fouillé le néant, sculpté la pierre. Par ces noms, par nos regards recueillis sur ces noms, nous avons hissé dans notre temps présent et dans leur histoire enfin réintégrée ma grand-mère, ta mère et eux tous, porteurs de ces noms retrouvés. Le néant n’est plus de mise. Mémoire et trace sont là. La transmission brisée a retrouvée son ordre, mère, fille, petite fille, arrière-petite-fille. Maintenant je peux te dire et m’en souvenir. A toutes mes bagues, je donne un nom. Celle-là, toute belle, qui à mon doigt étincelle, je la nomme Fortunée, je la chuchote Hanem. Le temps m’a passé la bague au doigt, le souvenir m’a dit ton nom et me caresse de ton prénom, ma grand-mère ici présente pour toujours, jusqu’au bout de l’avenir pour moi et les miens. Je continue mon cheminement avec elle, Fortuné Abignoli avec vous tous mes amis de lutte, bâtisseurs de noms retrouvés

 



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26 mai 2009 2 26 /05 /mai /2009 09:30

Notre vie est une interprétation de notre désir scandée de projets, de voyages, de lectures. C’est le temps musical de notre vie que nous scandons ; le temps et l’espace.

 

Les voyages viennent scander l’impossible lecture du réel des camps de concentration. Là où il n’y avait que mort, horreur, immobilité, des  écrivains, des cinéastes, des photographes, viennent « continuer » avec de la vie, du mouvement, du possible.  J’ai emprunté à la médiathèque  le film de Lanzmann « Shoah ». J’ai été « surprise » de voir à Auschwitz des arbres, des prés, de la nature, de la vie... Ainsi à Auschwitz les arbres peuvent avoir des bourgeons... Ainsi donc à Auschwitz le processus de vie continue et se renouvelle. Je n’ai jamais imaginé la nature à Auschwitz.

 

 Ainsi donc on peut se rendre à Auschwitz, y vivre, y voyager. Vivre, écrire des lettres, en revenir. Filmer, en revenir. Témoigner. Encore en revenir.

 

Ainsi donc le terminus peut donner des bourgeons, ainsi donc du terminus on peut créer.

 

Ainsi donc ma mémoire bascule de la mort vers la vie. Je peux lire Auschwitz sans en mourir –gazée-

 

Ainsi donc les bourgeons sont toujours possibles. Nous avons tous dans notre vie « un Auschwitz » dont nous sommes revenus non intact  mais vivant, une douleur qui nous a gazé et pourtant  notre arbre de vie a continué à donner de nouvelles feuilles, de nouveaux projets, de nouveaux voyages, un nouvel espoir. Lorsque je rencontre quelqu’un en grande détresse c’est cela que je dois m’appliquer à « faire passer ».

 

 Si on n’est pas mort à Auschwitz, il y a toujours de l’après-Auschwitz, , une possible et nouvelle scansion vivante du désir...

C’est ma vérité, celle que je veux transmettre.

 

Je continue, tu continues, il ou elle continue, nous continuons, vous continuez, ils ou elles continuent

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17 mai 2009 7 17 /05 /mai /2009 20:06

ALPHABETS EGARES

.

I. L'alphabet des agités .

      Le premier jour

      Dieu créa l'alphabet

                              Le deuxième jour

      Dieu créa les mots

                              Le troisième jour

      créa les phrases

                              Le quatrième jour

      Dieu  créa la ponctuation

Le cinquième jour

      Dieu créa l'écriture

                              Le sixième jour

      Dieu créa la rature

      Le septième jour

      Dieu créa le silence des livres

C'est alors que le diable mélangeât les lettres et les mots dans le feu du verbe défunt. Voilà ce qu'il arriva :

      Le   A   s'exclama  AH !

      Le   B   resta bouche bée

      Le   C   s'habilla  d'une cédille

      Le   D  aida la couturière mais perdit le joueur

      Le   E   fut couvé par la poule

      Le   F   fit son effet

      Le  G   glissa

      Le   H  coupa le bois

      Le   I   se pendit

      Le   J   en jouit

      Le   K   mit KO le O

      Le   L    s'envola

      Le   M   amoureux pleura

      Le   N   ne renonça jamais à sa haine

      Le  O   se mouilla

      Le  P   fit la paix avec

      Le  Q

     Le   R   chanta

      Le  T    se tue

      Le  U    mit un chapeau pointu

      Le  V   va bien

      Le  W  va mal, il a trop voulu en faire

      Le  X   et le Y formèrent une alliance chromosomique

      Le  Z   lui fit du zèle

   

II. L'alphabet en couleurs.

Le A : couleur de l'ambre

                   Le B :   rencontre trois belges

          Le premier en beige

            Le second en bleu

          Le troisième en blanc

                  Le C :   de carmin vêtu chante Carmen

                   Le D :    toujours en noir et blanc

          joue aux dames  et aux échecs

                  Le E  :    est à peine estompé

                       Le F :    a trop souffert, ne s'occupe plus des couleurs

                  Le G :   couleur groseille fait de la gelée

                  Le  H :   incolore hiberne

                  Le  I :    invente les nuances du silence

                  Le K :  tout en kaki chante la Marseillaise

                  Le L :   Laisse passer la lumière du jour 

                  Le M :  En moire aime jusqu'à la mort

                  Le N  :  couleur narcisse. Toujours avec l'O

          A surveiller ,. Risque de noyade

                  Le O :  quand il ne joue pas avec le N

          mange des oranges

                  Le P :  couleur pastel flirte avec Estelle qui porte un pantalon

                  pourpre

                          Le Q :  tout nu cherche sa culotte à fleurs de toutes les couleurs

                  Le S :  souriant caresse de la soie bleue

                  Le R : émotif est rouge de colère

                  Le T :  ton sur ton est fier de l'être

                  Le U : très mûr est une couleur sûre

                  Le V :  très classique reste en vert. Se prend pour un gazon anglais

                  Le W :  boit trop et voit double

                  Le X :   inconnu au bataillon des couleurs

                  Le  Y :  attend sa couleur  depuis des heures

                  Le Z :  est zébré cela va de soi !

----------

III L'alphabet à refaire

Le A arrive, le B barbote, le C cherche, le D se démange, le E va à l'école, le F fume, le G gargouille,, le H hiberne, le I Invente, le J Joue, le K porte son kimono,, le L louvoie, le M minaude, le N noue, le O tourne en rond, le p ne plie jamais, le Q se met en quatre, le R erre, le S sort définitivement de scène,  le T  tinte, le U fait l'unanimité, le V a de la veine, le WW double ses chances, le Y est heureux d'être grec, le Z passe sa vie au zoo à regarder des zèbres.

Chaque être aimé est une lettre.

 Chaque lettre est un être aimé

Si  une seule lettre disparaît

 toute rime est à tout jamais

interrompue

         Mon mari

         mon aimé

         mes enfants

         mes chéris

         mes soeurs

         ma famille

         mes amies

         nos amis

         mes compagnons

         de clavier et de lutte

Vous êtes de mon alphabet

les lettres uniques des verbes

  vivre aimer créer

Prenez soin de vous !

Pour conclure

Restons unis dans un même combat : Liberté ! Egalité ! ! Fraternité ! pour toutes les lettres . NON ! à la ségrégation consonnes/ voyelles, égalité des droits et des salaires, respect des minorités. Chaque lettre est indispensable à la bonne ordonnance de l'alphabet, quelle soit consonne ou voyelle, avec des ponts ou avec des points, des trémas ou des barres, qu'elle siffle ou qu' elle chuinte, qu'elle se lise dans un sens ou dans un autre qu'elle se dessine ou qu'elle se trace, qu'elle soit muette ou accentuée, grave ou aiguë, qu'elle soit aspirée ou expirée, explosive ou labiale,  mille foi ou rarement utilisée, avec ou sans pouvoir, notre devoir à tous est de permettre à chaque être humain l'accès à toutes les lettres. Lutter pour l'égalité des droits de l'homme, de la femme, de l'enfant à épeler dans le respect de la différence l'alphabet.

Respect de l'être unique

Respect des alphabets multiples

Lecteur souviens -toi

Il s'appelait Hitler

Il avait une petite moustache

Il n'aimait pas les lettres hébraïques

Et encore moi ceux qui les lisaient

Il décida de tout déporter,

les lettres, les êtres, les juifs

organisa des camps et avec l'aide

de quelques uns

infiniment plus nombreux

que les lettres de l'alphabet,

quelques uns de tous pays,

même des français !

Il brûla, brûla, brûla

hommes, femmes, enfants

et même les livres

si grande était sa folie.

Hanem,

lettre douce

lettre absente de mon enfance

c'est encore à toi que je pense

dans le chapitre qui s'avance

pour écrire les mots du souvenir

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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 22:09

Au départ de son histoire, la ville de Drancy. Ainsi, elle lut le livre de Maurice Rajfus, ainsi j’écrivis pour Empan. (N°66)

 

 

Lire et penser était pour Clara donner sens à son histoire. C’était construire sa mémoire. La mémoire de son histoire. Clara avait vécu toute son enfance avec cette histoire là de La Shoah non dite. Flora refusait de parler de cela. La Shoah, c’était la culpabilité de Flora qui avait demandé à Fortunée  de se cacher. Fortuné avait refusé « elle n’avait rien fait de mal » disait- elle. Flora s’était cachée avec son amant. Elle avait été sauvée. Fortunée non. Elle avait été prise dans la rafle du 22 janvier 1943 à Marseille organisée par la police française. Elle avait été conduite à Drancy puis le printemps venue dirigée sur Sobibor où elle n’était jamais arrivée. Cette histoire là, c’était la sombre histoire de Clara qui l’avait menée au bout de son identité, de sa détresse, de sa solitude. Pourtant comme Flora, « elle n’avait rien fait ». Le trauma de la Shoah se transmettait de génération en génération. L’innocence, la culpabilité, la souffrance. Clara dans les livres cherchait Drancy, cherchait la Shoah pour ne plus subir, pour vivre dans son histoire. Pour être et transmettre du trauma symbolisé et donc humain. Voilà pourquoi Clara lisait tant creusant le génocide.

 

DRANCY

Un camp de concentration

 très ordinaire

MAURICE RAJSFUS

Le cherche Midi Editeur

Document J’ai lu N° 6002 (399 pages)

 

Un vendredi de février, je suis allée voir ma grand-mère au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy L’Asnier 75 0004 Paris. Tél. 01 42 77 44 72  -Fax 01 48 87 12 5O Métro Saint Paul. Là mon regard s’est longuement posé sur le mur 1943 ; j’ai pensé à elle que je n’ai jamais connue et une larme noire a coulé. J’ai lu d’autres noms de mes amis et un lien invisible mais ténu m’a réuni à eux. Devant tous, je me suis recueillie avec tendresse, amour, respect, dans l’infini de moi-même.

 

Puis, dans l’enceinte du Mémorial, je me suis rendue au musée. Immensément déchirant. Des photos, des documents, des archives, des listes, des lettres, des témoignages, des paroles, des récits, des souvenirs. Rien que de la mémoire. J’ai traversé très vite les salles que j’ai frôlées bien plus qu’habitées ; ça me reprenait le vertige de vivre qui parfois me plaque au sol. Mais je n’ai pas été assez vite et j’ai vu au centre d’une pièce un appareil qui servait à broyer les derniers restes des incinérés. Alors là, j’ai remonté les escaliers quatre à quatre, tout doucement avec l’angoisse de ne pas trouver la sortie. Mais parfaitement lucide, je l’ai trouvée et je suis allée au centre de documentation juive contemporaine. Là, il est possible de demander des fiches de nos disparus. Terrible victoire sur les nazis. Ils voulaient tout effacer. Ils ont perdu. Des milliers de fiches d’identité en témoignent. Des lettres sur un mur, des mots sur une feuille de papier. Il est possible alors de continuer. J’ai continué et je me suis rendue à la librairie. Là, tous ont écrit pour dire la mémoire des souvenirs. Les mots ont lutté par le talent contre la volonté génocidaire. Lutté et triomphé.

 

J’ai acheté les livres suivants :

 

- Auschwitz et après I Aucun de nous ne reviendra.

- Auschwitz et après II Une connaissance inutile

- Auschwitz et après III  Mesure de nos jours.

Ces trois tomes de Charlotte Delbo sont publiés aux éditions de minuit

- Qu’est-ce que la philosophie de l’existence ? suivi de L’existentialisme français. D’Hannah Arendt. Préface de Marc de Launay. Rivage/poche / Petite bibliothèque

- La nuit d’Elie Wiesel Editions de Minuit (poche)

- Imre Kertesz  Le chercheur de traces Actes sud J.Bashevis Singer L’esclave chez Stock

 

Et enfin, sur une table une pile de livres identiques. J’en ai acheté un :

 

- DRANCY Un camp de concentration très ordinaire MAURICE RAJSFUS

 

J’ai lu ce livre très vite, en deux ou trois fois je crois tant il était déjà écrit en moi. C’était un écho à ma mémoire inconsciente que j’ai déjà tellement travaillée, explorée. Je l’ai ouvert et j’ai pensé que je me rendais dans l’avant dernière demeure de ma grand-mère. Je voulais connaître, les escaliers, les blocs, l’encadrement, les Autorités Allemandes, les gendarmes, la police, je voulais lire les souvenirs, les témoignages, les entretiens, l’organisation des déportations, des convois, le travail de la Préfecture. Je voulais lire la première année et la dernière, les enfants... Ce livre est écrit en petits caractères et mes lunettes suffisaient à peine à prendre la mesure de ce que fut Drancy, camp de concentration très ordinaire. J’ai lu ce livre comme si je payais une dette, celle de ma mère survivante et maintenant morte. Ils ont tant souffert ces détenus de Drancy, je me devais de les connaître pour continuer humaine et debout, comme ça, sans déni. C’est le prix de la vraie sérénité, de la vraie dignité que d’exister,  c’est le prix du vrai possible des luttes, toujours, encore, maintenant contre la xénophobie, le racisme, la bêtise, « c’est leur culture », « il est juif il doit avoir de l’argent. » Bagneux 2006. Manifestation silencieuse contre l’horreur de tout ça... Continuer avec ces manifestants dans le bruit des jours contre le néant de la barbarie. Hier, maintenant, demain. Lutter debout. Connaître, reconnaître Drancy.  A tous leur dignité a été retirée, je veux lire, savoir et par ma mémoire leur restaurer. Notre mémoire est le seul espoir de faire perdre Vichy. Faire retrouver le temps à tous ceux là qui ont été déportés.

 

 J’ai lu ce livre dans le flot de mes affects bien au de-là des larmes ; mes larmes étaient captives du camp, mon regard qui parcourait les lignes était un long et silencieux sanglot. C’était serré, prégnant, poignant. Une lecture comme une longue étreinte que seule l’écriture de ces lignes peut desserrer... Le souvenir n’en finit pas de s’enfermer pour ne pas se dire, la mémoire de se taire malgré les archives. Je ne sais si son livre y parvient mais c’est un prodige d’archives qui dit ses sources et qui de ce fait confère à ce récit une portée historique. Il est toujours possible, à qui le veut, de contester certains faits, certains dialogues. C’est la noblesse de l’Histoire quand elle se fait récit humain, récit faillible à toujours réinventer mais moi, la non historienne, la lectrice quotidienne, j’ai la certitude que l’essentiel est écrit. Il y a deux passés, deux Histoires, deux France : celle des fanfares et celle du silence. C’est vrai il y a eu la France de la résistance mais c’est vrai aussi il y a celle des « missions ignobles de la police française. »

 

Dans mon histoire de femme, dans ma mémoire inconsciente devenue enfin consciente grâce à ma psychanalyse et à mes lectures, existent les deux Frances et parfois en moi, ça fait désordre : celle de mon oncle Roger fusillé à 20 ans par les Allemands et celle de ma grand-mère Fortuné arrêtée dans une rafle. On connaît la suite : Drancy. On connaît la fin : Sobibor. Et puis les survivants de tout cela, les générations suivantes. Je ne raconte pas mais l’Histoire n’en finit pas de pulvériser les vies et l’espoir. Heureusement il y a les livres, les archives. Alors les fanfares et les grandes déclarations, ça le met en colère Maurice Rajsfus et les dents serrés dans une implacable méthodologie, il écrit, il raconte, alors moi aussi en colère que lui, dans une implacable méthodologie, je lis ligne après ligne sans en sauter aucune.

 

Je vous laisse découvrir seul (e) ce livre. C’est un long cheminement intérieur que celui d’accepter l’Histoire quand elle se fait Horreur. Et pour chacun d’entre nous il y a un temps pour cela et je respecte votre temps en me taisant

 

Merci monsieur Maurice Rajfus pour votre travail d’écriture d’une mémoire qui fait écho à la mienne, merci pour vos archives qui font écho aux miennes, merci pour votre combat qui fait écho au mien. D’échos en échos, de résonances en résonances nous avançons dans la dure réalité humaine.

Merci.


Puis Clara avait lu Anne lise Stern, Primo Lévi, Myriam Anissimov, Jorfge Semprun,Robert Antelme, Imre Kertez, Jean Amery, Hannah Arendt,  Etty Hillesum,  Anne Frank, Aaron Appelfeld, William Styron, Hélène Berre, Irène Némirovsky, Pierre Vidal-Naquet ; David Rousset, Edgar Morin , Jacques Hassoun et Cécile Wajbrot, David Grossmann. Clara lisait, lisait, j’écrivais, j’écrivais et toutes deux sans cesse, nous oublions, nous refoulions.

 

La femme qui lit Inédit Hiver 2008

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9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 09:15

Pour  Clara, depuis  toujours, lire c’était oublier pour retrouver un jour d’immobile et de chagrin , un jour d’espoir et de nécessité la force de continuer comme un coup de  pied dans l’eau du fond d’une piscine. Inventer la glycine de Proust, le paysage de Gracq, la mémoire de Perec et de Saint Augustin, l’Inconscient de Freud,  retrouver l’histoire de la lecture de Manguel,  la simultanéité de Laurence Durrell, l’ivresse de Bohumil Hrabral, l’engagement d’Hannah Arendt, de Simone de Beauvoir, de Gisèle Halimi, caresser la douceur de Katherine Mansfield ou d’Anaïs Nin, retrouver les silences de lumières de Marguerite Duras, vaincre l’horreur de tous ceux-là qui ont écrit sur la Shoah, sa possible mémoire et son possible après.

 

Lire pour, Clara,  c’était le possible après la Shoah.

 

Clara n’avait jamais connue sa grand-mère. Elle était morte dans un convoi pour Sobibor. 23 mars 1943. Apprendre à lire  avait servi à  Clara à cela : lire cette date là : 23 mars 1943. Le socle des lectures de Clara c’était cette date là. 

 

A, B, C, D , E, F. F de Femme. Clara savait lire le mot « Femme » Clara était une lectrice. Féminin de lecteur car le mot lecteur contrairement à beaucoup de mots connaît son féminin.  « lectrice ».  Depuis des siècles la femme lit et dans cette activité là qui signe son intelligence et l’intelligence qu’elle a du monde, elle devient libre. L, Liberté. Clara avait toujours cherché à épeler le mot liberté. Enfant, elle ne se laissait pas vaincre ; elle se souvenait en pension avoir refusé de cirer des chaussures jusqu’à l’extrême pointe d’une brillance exigée. Elle pleurait sur la qualité impossible du cuir qui n’autorisait pas la brillance. Muette, devant « ses chaussures à elle », elle avait posé le chiffon aux prises avec une résistance qui devait être sienne toute sa vie. Ses chaussures lui appartenaient et n’étaient pas celles de ses autres camarades de vie. Alors on avait usé de la violence. Il fallait que ses chaussures brillent. C’était la règle. On l’avait attrapée par ses cheveux si courts et si douloureux, on l’avait traînée à même le sol dans le bureau de la Directrice, tandis qu’elle hurlait « c’est  la qualité de la chaussure ! »  Elle avait été punie pour sa rébellion comme toute sa vie elle devrait l’être pour sa résistance au pouvoir. R de Résistance. Voilà ce que lui avait permis d’épeler son Alphabet. Les vingt-six lettres de l’alphabet ont épelé sa vie de sujet , femme libre, écrivaine , lectrice, mère, épouse, amie. Cet, alphabet, elle l’avait conquit durement, elle continuait de le déchiffrer et le  déchiffrerait jusqu’à sa mort ; Le joueur d’échec Fischer est mort à soixante-quatre ans, nombre symbolique des soixante-quatre cases  du jeu d’échec. Clara aimerait mourir un vingt-six du mois, chiffre symbolique de l’alphabet. Elle aimerait aussi mourir un 26 mars, mois du printemps, saison du recommencement. Elle avait connu tant de morts et de renaissances. Comme un arbre, traversant les hivers et les automnes, les printemps, et les étés, connaissant les orages, et la douce brise, connaissant le désespoir et l’espoir, toujours aux prises dans le mouvement de la vie, s’élançant dans le ciel changeant de ses émotions. Clara, l’arbre de vie dont les branches noueuses abritent ses livres. Une multitude de livres qui l’écrivaient elle, femme de persévérance et d’amour, femme de violence et de douceur, femme d’ombre et de lumière, femmes de fontaines et de clartés, femme d’ombre et de pénombre, femme toujours changeante, femme de liberté, femme insaisissable mais femme si présente au monde et à son entourage. Quand une femme disparaissait , c’est une famille qui pleurait. Quand un être humain mourrait c’est une forêt toute entière qui disparaissait. Clara avait connu la mort de sa forêt avec la mort de son père adoptif, avec la mort de celui qui l’avait conçue, Clara avait connu sa forêt brûlée avec la mort de sa mère, puis celles de sa soeur  Sylvie qui était sa meilleure amie et celle de sa meilleure amie Elisabeth qui était sa soeur. Dans la forêt de Clara manquaient de nombreux arbres alors Clara à force d’épeler le M de mort, avait tant pleuré qu’elle s’était usée les yeux ; ses yeux étaient à jamais salés. Elle était une femme de sel et d’encre ; mais l’encre des livres l’avait sauvée de tant morts, la sienne et celle de ceux qu’elle aimait tant.  Sel, Soi, Elle, L, Livres. Livres de l’oubli jamais oublié, oubli suspendu aux quatre coins du présent, oubli qui inventaient les souvenirs écrans de l’inconscient.

 

Lire l’inconscient à partir des livres, donner sens à la vie, à sa vie. Donner du sens, extraordinaire pouvoir  d’or des livres. C’était cet or là que Clara amassait depuis des années dans sa caverne d’Ali Baba.  Sésame, ouvre-toi !  Ouvre-toi sur ta mémoire, sur tes grimoires, ouvre toi sur tes noires mais aussi sur tes blanches, ouvre-toi sur ton solfège, tes diamants, tes pluies de lunes, tes larmes de givre, tes nacres de mots, ouvre-toi sur tes virgules et tes points de suspension, sur tes sapins brûlés, sur tes mots rares, ceux qu’on cherche dans le dictionnaires, ceux-là  Clara les aimait tant, ils disaient les secrets du langage et de ses bagages, Sésame, ouvre toi ! sur les connaissances de Clara, sur ses poèmes, sur ses livres préférés, sur ses amis les auteurs, sur ses pages tournées, froissées, soulignées, caressées aimées,  Sésame, ouvre –toi ! sur ses heures de bibliothèques boisées, sur ces heures de crépuscules ou de nuits d’insomnie, Sésame, ouvre-toi ! sur ses romans d’amours, Clara aimait tant les romans d’amours, ceux qui finissaient bien, quand après tant d’épreuves ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, Sésame ouvre-toi ! sur ses livres de recherche qui inventaient et recommençaient l’humanité toujours au bord de la destruction et des guerres,  Sésame, ouvre-toi ! sur les mots, sur les soleils, sur l’espérance, sur la promesse de la renaissance, sur l’attente de la naissance. Sésame, ouvre-toi  ! Elle savait  ce noeud en elle de lecture et d’écriture, le quotidien de solitude, ce silence si plein d’elle même et des livres. Cette mémoire qui assaillait Clara, cette boule de solitude qui roulait, qui roulait dans la foule et dans la houle comme une vague qui la submergeait, la roulait sur la plage  jusqu'au bout d’elle-même, dans sa solitude mais dans la lumière de tous.

 

Le silence avait toujours été pour Clara la robe de ses jours. Elle la portait parfois en décolleté, parfois bras nu, parfois recouverte d’un épais manteau d’hiver, parfois elle était visible, parfois non. Le silence était une drôle d’histoire pour Clara. Parfois intime et caressant, parfois revêche et résistant aux contours de l’agressivité. Le silence lui jouait de drôle de tours et de détours, des entendus et des malentendus. Des silences d’enfance, des silences terribles, des silences de culpabilité. Les livres, la caverne d’Ali Baba étaient  pour oublier la culpabilité,  la déchirure que d’être enfant qui n’a pas eu d’enfance. L’enfance cachée. L’enfance brisée. L’enfance cruelle. L’enfance bafouée. L’enfance de silence. L’enfance trop sage dans une pension si sage. L’enfance tuée. L’enfance jamais cicatrisée. L’enfance toujours retournée. L’enfance labourée. L’enfance broyée. L’enfance génocidée. Sa fiction. Une montagne de livres. Des siècles de livres. Sa bibliothèque. Ses milles un livres, classées parfois en ordre alphabétique pour les romans, parfois par thèmes pour les essais sur la Shoah, ou les différentes cultures, ou les femmes, parfois par format pour les grands livres d’art. Classés, rangés, répertoriés, mais surtout lus. Ses livres. La maison de l’être de Clara. Ses lettres. Ses livres. Elle. Ses ailes, pour s’envoler du secret. Inventer la lumière et tout recommencer à partir de la mémoire déviée de sa course, de cette mémoire là, métonymie de son enfance, de cette mémoire là qui écrit le temps oblique ; ce temps sans chronologie, ce temps diffracté par sa psychanalyse, ce temps éparpillé, morcelé puis reconstruit par les livres qui construisaient et reconstruisaient Clara, qui la dessinaient et l’inventait, la caressaient  et la chantait. Clara la musicienne quand elle  écoutait la symphonie N°4 de Schumann.

 

Clara écoutant La Callas,

Clara écoutant La Traviata

Clara aux portes de la musique 

Clara la symphonie de livres

Clara  la Femme qui lit

le temps oblique

celle qui écrit


 Le temps de l’ambre


Extrait de La femme qui lit. Texte inédit Hiver 2008

 

 

 

 

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2 mai 2009 6 02 /05 /mai /2009 15:00

Clara mémorisait une liste, une liste à la manière de Georges Perec qui les avait vu disparaître ses parents et qui en avait fait son écriture comme Clara en avait fait sa lecture. Une liste logée au coeur de la vie de Clara : Auschwitz-Birkenau, Ravenbruck, Buchenwald, Treblinka, Dachau, Oranienburg, Mauthausen; Belzac,, Sobibor, Lublin, Chelmuno,  Bergen-Belsen, Neudorf, Dora-Laura-Ellritch, Flossenburg, Neu Bremon, Neuengamme, Sachsenhaussen, Grosss-Rosen, Stutthof, Theresienstadt, Hinzert et en France, dans les Vosges : Natzwiller Struthof.

 

Mais l’amie de Clara, la plus présente, celle qu’elle n’oubliait pas, celle qu’elle lisait et relisait, c’était. Charlotte Delbo Auschwitz et après (Les éditions de Minuit (1970, 1971). Elle avait lu aussi Les Spectres, mes compagnons Berg international Editeurs 1995). Clara connaissait par coeur le poème de Charlotte « Prière aux vivants ». Alors Clara avait appris une danse qui la justifiait, qui lui donnait le droit d’exister, le droit de survivre à tous ceux là qui étaient morts déportés, à tous ceux là qui n’étaient pas revenus. Elle avait appris une danse qui lui donnait le droit d’exister dans l’absence de sa grand-mère morte d’épuisement dans un train qui se rendait à Sobibor. Clara avait appris à lire son cri dans celui des autres. Elle avait appris à lire sa désespérance dans l’espérance des autres. Clara lisait et donnait du poids à ses mots dans les mots des autres, des auteurs, des écrivains. Elle inscrivait sa mémoire, son espoir, son engagement pluriel dans leurs mots. Clara lisait marquait de l’oubli sa vie grâce à eux ses auteurs, ses écrivains préférés. Par eux, elle donnait du prix à sa vie, du sens à son existence. De la poésie, de l’imagination, de la lumière. De l’éternel. Clara avait soif d’éternité et la lecture lui en procurait. Elle lisait, se frôlait, se trouvait, se perdait puis se retrouvait Elle lisait tant et tant, les aimait tant et tant ces écrivains qui dessinaient sa vie, la créaient femme. Ils étaient devenus sa parenté, sa famille, ses amis, , son temps oblique. Ils étaient devenus elle.

 

Clara avait appris une danse, sa danse. Elle avait appris à partager ses lectures. Elle prenait des notes. Beaucoup de notes, parlait des auteurs qu’elle aimait, jamais de ceux qu’elle n’aimait pas. Avec ses amis, elle partageait l’amour, le reste elle le taisait. Avec eux, elle partageait ses engagements et ses luttes. Clara était une femme de lecture mais Clara était une citoyenne. Clara lisait, Clara cherchait, interrogeait le monde.  Et dans le temps du partage Clara avait crée des ateliers de lectures dans le cristal d’une mémoire qui se multipliait et s’élançait d’être en être dans le mouvement de tous et de chacun quand le temps et l’oubli se creusaient, quand la fantaisie souriait partout à la vie, quand le sens partagé éclaboussait, quand l’éternel s’ajoutait à l’éternel, quand l’éternité n’en finissait plus d’être éternité, quand la lecture n’en finissait pas d’être partagée, quand les silences étaient ceux de l’âme et les mots ceux du corps, quand il était possible de dire non au totalitarisme celui qui nous veut tous pareils et nous interdit de penser ce que nous faisons celui qui avait mené Charlotte Delbo à Auschwitz

 

Clara avait lu Charlotte Delbo mot à mot, elle avait lu pour retrouver sa mémoire et la sienne, ses souvenirs et les siens, ceux qu’elle n’avait jamais vécus. Ceux de l’innommable,  ceux des camps qui interdisaient à toujours le printemps de l’humain.

 

Clara a tourné les pages de Charlotte et s’en est trouvée à tout jamais changée. Clara abrite Charlotte Delbo dans son éternité de femme. Ses mots ont fait sanglots. Ses mots ont fait partage. Ses mots ont fait mémoire. Mémoire de femmes. Le récit de Charlotte Delbo, Clara en était convaincue étaient une histoires de femmes et de compagnes d’épreuves. Pendant la déportation. Après la déportation. Quand elles se retrouvent vivantes, survivantes. Clara avait suivi les larmes aux yeux les confidences de ces femmes ; Elle était devenue « elles » et à toutes demandaient pardon d’être si stupidement « elle », d’être si stupidement vivante et parfumée. Elle leur demandait pardon parce que sa lutte au jour le jour contre le racisme, le fascisme, la guerre, le fanatisme, les totalitarismes, les génocides de partout et partout, elle le savait était terriblement insuffisante, écrivant un permanent « peut mieux faire. », « peut mieux dire, », « peut mieux lire »

 

Extrait d’un texte inédit « La femme qui lit » Hiver 2008

 

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29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 17:25

Drancy, le 22 mars 1943

                        Mes chers tous

Je vous ai déjà écrit et je n’ai rien reçu. Je regrette, j’aurai voulu me rassurer avant de partir, je pense beaucoup à vous et j’espère que vous jouissez d’une parfaite santé. Ne vous faîtes pas de mauvais sang pour moi car je prends tout avec courage.  Je me porte bien et chacun a son destin. Il nous reste que de prier le bon dieu pour qu’il nous réunisse et nous permette de nous revoir au complet. Je vous avertis de ne rien envoyer ni lettre ni colis car nous partons pour une destination inconnue demain. Fortunée.

(Lettre de  Fortunée, adressée à sa famille, écrite la veille de son départ pour Sobibor.)

 

Fortunée était ma grand-mère et dans l'absence de cette grand-mère ,jamais revenue se sont engouffrées beaucoup de mes lectures.

 

Je vous les raconterai parmi d'autres plus heureuses.

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