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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 21:54

Parfois la création se tait comme si le cœur étreint par trop de vie ne pouvait plus battre.

 

La création est une alternance de moments féconds et de déserts. Lorsque je traverse les moments de désert j’ai peur de ne plus exister, de me perdre dans un quotidien trop dense. La création est une curieuse alchimie de silence et de vie, un dosage subtile quand le corps se fait île, quand l’acte de créer se fait balance entre Robinson et Vendredi, quand il naît de la lumière de tous et de la pénombre de l’âme d’un seul.

 

La création demande dynamisme et douceur, force et tendresse.

 

La création ouvre ses bras aux autres mais lentement les referme sur soi.

J’ai marché à grandes enjambées dans ma cité mais j’aime aussi m’asseoir chez moi et rêver longuement. Mon écriture prend racine dans mes lectures mais aussi dans mes songes quand ils se nichent dans ma terre intérieure.

Ce soir est un jour sans écriture. Alors, je n’insiste pas et je vais me coucher. Je vais lire à grandes bolées un livre que je viens tout juste de commencer :

 

Les Disparus. Daniel Mendelsohn. (Flammarion 2007, collection J’ai Lu 8861) et si d’aventure, je reprends le chemin de l’écriture, je vous raconterai ma lecture. C’est promis ! Mais patience ce livre a 930 pages et j’en suis à la  page 39 !

 

J’aime cette expression si naïve qui dit « J’en suis à la page… »  exprimant par-là une jolie métaphore où le livre serait une route ponctuée de bornes. Il ne serait plus du sens il serait des kilomètres de lignes voire même de mots à franchir, il serait une montagne à gravir et les pages comme un col indiquerait au grimpeur une pause pour contempler le paysage de la vie.

 

Mais j’arrête ; je m’en vais retrouver ma page 39 et progresser sagement dans l’espace et dans le temps d’une nouvelle histoire, celle de Daniel  Mendelshon qui savait que son grand-oncle Shmiel, sa femme et leurs quatre filles avaient été tués dans l’Est de la Pologne en 1941 et qui après la découverte de lettres de familles avait voulu donner visages à ces six disparus.

 

Retrouverai-je avec lui, dans le temps de ma patiente lecture ces six « Disparus » ?

 

La Shoah, c’est ça : des « Disparus. » Quelques-uns uns par familles et puis finalement des millions de « Disparus. »  Pour moi, quelque chose qui toujours me… Mais mon verbe est une fois de plus englouti par l’Histoire. Mon verbe a Disparu ;  je le remplace par les verbes lire et écrire. MJC

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4 juillet 2009 6 04 /07 /juillet /2009 15:46

Tout ce que tu ne m’as jamais dit

 

ETAT-CIVIL

COPIE D’IMMATRICULATION -Registre N°3-Immatriculation des +algériens-Immatriculation N°397- du 2 juillet 1884-

Judas Lévy ABIGNOLY,commerçant-Mascara (Oran Algérie) le 25 mars 1838-au Caire rue Neuve-marié à Zahra Hassina ayant :

A- Isaac Levy né a Jérusalem en 1867 -B- Abraham Levy né à

Jérusalem en  1868 marié à Flor Rossano(divorcées le 22 mars 1923)         ayant a)Régina née au Caire le 20 novembre1896         b)Aslan né au Caire 27septembre1899 -C-Moussa Lévy né au Caire en 1875 marié à Rébecca Rawasse(décédée)ayant

Félix né au Caire le 30 avril 1900         

b) Léon né au Caire le 18 octobre 1903 remarié à Esther Gaboay(décédée) ayant : c) Max né le 2 mai 1913

 d)Albert né 15 août 1914 au Caire

 e) Sami né le 14 avril 1917 au Caire remarié à Nazli          (Fortunée) Dayan le 23 octobre 1919 (suivant certificat du Rabbinat du       25 mai 1922 N°680) ayant

 a) Flore née le 2 septembre 1920

D- Yussef

                          

Levy né au Caire en 1877 marié à Esther Lévy Basmon ayant

a)Flore née le 20 août 1904

 b) Jeanne née le 16 octobre 1905 -Claire née le 29 octobre 1916 c)Edgard né le 18mars  1914- Victoria née le 15 mai 1909- E- e)David Lévy né au Caire en 1882 marié dix sept septembre 1910 à Marie Dayan ayant :

a)Elie né au Caire le 21 février 1916

  b)Lucien né au Caire le 2 janvier 1921 –

  c)Yvette née au Caire le 31 mars    1922 –

                                  d)Léonie née le 25 juillet 1923 au Caire 

             G-Aaron né au Caire en 1889 marié à Rose née Jasson-sur le vu d’un jugement rendu par le Tribunal de Mascara en date du 28 mars 1884 N°85 Enregistré à la Chancellerie de ce consulat le 5 juillet 1884 sous le N°10 du registre des actes sous Seing privé- signature de l’immatriculé

POUR COPIE CERTIFIEE CONFORME A L’ORIGINAL. Le Caire, le neuf janvier mil neuf cent cinquante neuf.        

                                                                           AMBASSADE DE SUISSE

                  Tampon de l’ambassade de Suisse                                                                                 Le Caire                                               Section des intérêts français

                                                                           p.o

                                                                           C K

Extrait de naissance d’après paragraphe souligné.

                  Dépôt de cette pièce a été fait le 11/8/1959 au greffe de tribunal d’instance 27 bld des Dames à Marseille.

Mini-commentaire

 

- J’ai  toujours pensé que le prénom de ma grand-mère était Hanem (dire de maman)

- Roger, jeune frère de Maman n’est pas mentionné

- Un G non précédé du F

- Je suis émue de taper cet extrait de naissance. Je suis émue par ce flot de vies qui me précèdent. Des dates de naissance, de mariage, des décès. Certains noms ont bercé mon enfance .Un nom essentiel Le Caire. J’ai envie d’aller au Caire.

 

En haut à gauche il est écrit :

« Mlle Abignoli »                                             Cachet rond avec mention :

                                                               Complément payé au tarif de 1937

                                                               E.99935

                                                                                 Timbre rose d’une valeur

                                                                                          de 1 franc

Tampon République française »

         D.A.

Traduction

Gratis

Certificat de naissance

 

Extrait du Registre des naissances du Caire (Egypte)

N° d’Enregistrement 1230.

Date de la naissance :  8 septembre 1920

Nom et sexe du nouveau né : sexe féminin, Flore

Nom et prénom du père Moise Abignoly

Nom et prénom de la mère : Fortunée

Profession du père : Employé de commerce.

Nationalité française

Sujet du gouvernement français.

Religion : Israelite

Habitation et rue Chaïr Hamdi n° 43

Pour copie conforme

Signature ou cachet du dépositaire du registre : Illisible

         Fait au Caire le 11.9.1920

 

T.S.V.P

 

Signature et cachet : Illisible

Pour traduction conforme en langue arabe.

Marseille le 11 mars 1938

Le traducteur Juré

                  signature M.Beraha

 

Tampon rond: M.Beraha, interprète traducteur juré. Prés le tribunal civil Marseille

TAMPON RECTANGULAIRE EN ROUGE / VU POUR LA LEGALISATION DE LA SIGNATURE CI-CONTRE Marseille le 12 mars 1938. Pour le Maire de Marseille. L’adjoint délégué. Signature

 

 

TRADUCTION

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

GRATIS

 

CERTIFICAT DE NAISSANCE

 

 

         Extrait de Registre des Naissances du Caire (Egypte)

 

         N° d’Enregistrement 1230

         Date de la naissance 8 septembre.1920

         Nom et sexe du nouveau-né -féminin-FLORE

         Nom et prénom du père : ABIGNOLI Moïse

         Nom et prénom de la  mère : Fortunée DAYAN

         Profession du père : employé

         Nationalité Française

         Sujet du gouvernement français

         Habitation et rue  Chaïr Hamdi n°43

         Pour copie conforme

 

          Signature ou cachet du dépositaire du registre

        

                                                               Fait au Caire le 11.9.1920

                                                     

                                                               SIGNATURE

 

                                                               CACHET

 

Commentaire

 

Ce papier n’a aucune valeur juridique. Il est simplement tapé à la machine -probablement par maman elle-même-. Il n’y a ni cachet ni tampon, ni timbre, ni signature. Je pense que cela traduit la peur panique que j’ai toujours connu chez maman de perdre ces papiers officiels. Peur qu’elle m’a transmise.

La perte a été un mot essentiel pour maman. Perte de                son histoire, perte de ses repères, pertes de ses êtres chéris. Pour elle, la Shoah, c’était ça : de la perte. A mon tour j’ai porté et emporté, j’ai charrié la perte.

 

 

                                       

 

 

EXTRAIT OFFICIEL

----------------------------

 

des Registres de Naissances du  Kism d’Ezbekieh -Gouvernorat du Caire

- lieu d’émission de l’Extrait : Archives du Ministère de l’Hygiène Publique

- Nom du Requérant : Flore Moussa

-N° de la demande : 15.994

- Droits perçus :  90 Mlls-Récipissé du 13.8.1950

                      payés à la caisse du Ministère, y compris les droits de timbre.

                     EXTRAIT DEMANDE

-----------------------------

 

         Des recherches effectuées dans le registre vol.32, il appert que sous le N° 1330 sont inscrites les indications suivantes ;

         - Date d’enregistrement de la naissance : 10 septembre 1920

         - Date de la naissance : 8 Septembre -heure  :10 p;m

         - Nom  du nouveau né : -Flore Moussa-Sexe féminin

         - Lieu de naissance : Rue Hamdi N°43

         - Nom du Père : Moussa Lévy Abignoly

         - Nationalité : Française

         - Religion : Israëlite

         - Profession : Employé

         - Nom de la Mère : Fortunée Lévy Abignoly

         - Nom du Déclarant : Félix Lévy

         - Adresse : rue Hamdi N°43

 

Pour copie conforme,

         Signature du clerc : illlisible

Signature du dépositaire du registre : illisible

le 14.8.1950

 

         Délivré sans aucune responsabilité de la part du gouvernement Egyptien.

 

         Signatures des Chefs de service : illisibles

         Signature du Directeur du Département : illisible

 

SCEAU

le 14.8.1950

 

La Shoah, pour moi ce n’est nuit et brouillard, ni tout Elie Wiesel ou Primo Lévi, ni Le journal d’Anne Frank, ni Imre Kertez, ni tout Jorge Semprun ou tout Charlotte Delbo, pour moi c’est un trou immense , Fortunée Abignoli, dans cette famille dont j’ai recopié les noms, une famille digne, une famille qui peuplait la terre. Une famille, mes ancêtres ces inconnus. Ma dette.

 

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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 14:32

L'écriture ou la vie.

Jorge SEMPRUN

NRF GALLIMARD

1994. 319 p.

 

 

Ami (e), je t'en prie, lis ce livre ! Jusqu'à la dernière ligne.

Moi, je n'y suis pas parvenue. Je me suis arrêtée au dernier mot de la première partie -le mot printemps-. Mes paupières plombées de migraine ont refusé la suite.

 

Je ne comprends rien à tout cela. Je vis, j'aime, je respire, je lis, je lis encore mais je ne comprends rien à l'horreur de la fumée crématoire. J'échoue à mettre du sens là-dessus. J'échoue... J'échoue. Seuls subsistent l'Impossible et la migraine, la nuque raidie, le corps douloureux, ce dos raidi qui refuse encore et encore. Je n'ai pas fini le livre, mais toi, je t'en prie finis le... soyons une chaîne humaine ; va un peu plus loin que moi, tourne quelques pages de plus... Je t'en supplie. J'ai regardé en face l'insensé jusqu'à l'épuisement de mon regard écrasé de migraine. Tous, nous disons "plus jamais ça" et sans cesse, ailleurs ça recommence. Je refuse d'énumérer cet ailleurs de l'horreur, je refuse cette fumée qui nous asphyxie l'espoir d'écrire le mot "Humanité". je refuse cet océan d'insensé. Je refuse. Ma vue se trouble, ma tête noyée de plomb dit non, le sol se rapproche. J'ai terriblement mal, mais c'est ainsi, je le sais, je DOIS recopier jusqu'au vertige...

 

"Une sorte de vertige m'a emporté dans le souvenir de la neige sur  l’Ettersberg. La neige et la fumée sur l'Ettersberg. Un vertige parfaitement serein, lucide jusqu'au déchirement. Je me sentais flotter dans l'avenir de cette mémoire. Il y aurait toujours cette mémoire, cette solitude : cette neige dans tous les soleils, cette fumée dans tous les printemps".

 

   

DERAPAGE

 

   

Printemps    Passé

printemps      daté

printemps  printemps  printemps    cassé

printemps  printemps  printemps  printemps  fêlé

printemps  printemps  printemps  printemps  printemps  brisé

printemps  printemps  printemps  printemps  printemps  printemps ridé

printemps  printemps  printemps  printemps  printemps    brûlé

 

J'ai dérapé, j'ai pleuré puis j'ai lu le livre jusqu'au bout. J'ai suivi les traces dans la neige et dans la fumée. J'ai marché prés de lui, je l'ai écouté dire la rose couverte de rosée, la mort est  un morceau de pain et de fraternité. J'ai été bouleversée et j'ai pleuré encore sur le livre et sur les morts. Mais puisqu'il faut vivre, j'ai lu encore... J'ai lu, j'ai écrit  dans un journal de ma ville dont la une affichait  « Pour un printemps des libertés ».

 

J’ai écrit pour que le printemps soit à nouveau possible. Le printemps des quatre saisons quand il rime avec bourgeons, jonquilles, primevères, lilas.

 

J’ai écrit cette solitude, encre noire que je ne peux vaincre.

 

J’ai écrit cette solitude de ma vie que je nomme Shoah et dont comme le temps d’une spirale sans cesse revient et m’étreint en silence ou dans le cri de mon écriture. Paradoxe si mortifère.

 

Dépasser le non-sens continuer et inventer mon écriture quand elle retranscrit dans la chaleur de l’été le témoignage de Elie Arditti, qui  ne revient pas de l’enfer mais qui toute sa vie, pour l’avoir frôlé en a été bouleversé.

 

Quand l’homme se fait récit, je l’accompagne et je retranscris du lieu de cette mémoire de ce que je n’ai jamais connu et qui pourtant fait définitivement empreinte dans ma vie. 

 

Mais chut !

 

A suivre, avec mon ami Elie…

 

 

 

 

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27 juin 2009 6 27 /06 /juin /2009 14:41

 

 

Ma mère, mon père. Mon enfance. Un silence sans souffrance,  des années sages. Tout paraissait normal. J'étais là dans mon absence au monde.

 

Souvent, trop souvent, mes nuits furent déchirées par un cri. Toujours le même. Un cri qui me laissait désespérément seule et amnésique, prisonnière d'une parole obturée : je voulais parler mais aucun son ne sortait de ma bouche. Je m'éveillais en sueur, vivante et pourtant morte. Ce rêve répétitif, je le nommais "La parole implosée".

 

Ecrirai-je jamais, le cri de cette enfant que je fus, sérieuse et silencieuse, dissipée pour donner le change mais raidie comme une morte ? De mon enfance bien sage, j'ai gardé des séquelles : mon corps tout entier est dysharmonieux, raide et voûté d'avoir trop porté mon histoire, prisonnière d'un cri qui plisse ma vie de femme, ma vie tout court. Ce cri m'obsède. Parfois je l'écris puis je l'efface. Dix ans déjà, août 1982, j'ai rédigé une courte nouvelle sans titre, légende vraie de ma naissance, légende vraie de ta souffrance. "Cela se passait en 1945. Claire avait 24 ans."  (L’enfant)

 

Cette Claire, c'est toi maman. Cette Claire de guerre, je l'ai décrite avec des mots de silence et d'ignorance. De ton passé, tu ne parlais jamais ni des circonstances qui entourèrent ma naissance. Il y a  là un creux, un trou, une béance.

 

Non, cette Claire, ce n'est pas toi maman, parce que toi, tu as vécu mais tu n'as pas oublié. Un jour tu m ‘as dit d'une voix brisée :

 

"Le mal qu'on m'a fait est gravé, rien ne pourra le retirer".

 

Mon enfance s'est jouée sur la scène de ton impossible oubli. L'homme et l'enfant ont eu raison du joug mortifère nazi mais non de ta mémoire meurtrie.  J'ai grandi au creux de ta blessure. Ce mal que tu n'as jamais abandonné te rattachait aux tiens qu'on t'avait volé, à ta jeunesse choyée. Ta façon de combattre l'horreur était le refus de l'oubli. Ton refus passait par ton silence le jour, par mon cri, la nuit. Ton silence, mon cri disait non à la deuxième guerre mondiale, à Hitler, aux déportations, à la collaboration. Mon cri, ta vie, mes nuits. Hurle la barbarie des hommes. Drancy. Cela a existé et cela insiste dans ma vie. Insiste entre silence et cri dans l'impossible version de ce qui serait mon enfance, mon passé, mon histoire.

 


 

C'est un jour d'orange

Un soir d'orage

Que je naquis

Entre deux éclairs

Entre deux tonnerres

Une légende rose

Peau de pêche

Cheveux pruneaux

J'étais belle

mais

déjà je boudais


 

Ainsi commença

Le silence

Ainsi commença ma vie.

Couleur de l'enfance

Couleur du présent

Un souffle l'alourdit

Le mien

Un souffle l'allège

Le temps

 

Une robe rose et blanche à volants.

Un homme me donnait la main

C'était bien

Je l'appelais

 "Mon père"

 

Mon enfance

Je ne sais pas

Je ne sais plus

Je n'ai jamais su

 

Alors, j'ai lu.

 

Mon enfance pour la dire

Loin du pire

Je conjugue le verbe écrire

à la première personne du singulier



« J’écris »

 

 

Enfance cachée

femme dévoilée

Secrets envolés

 

Dans le temps des mots

et de mon silence vaincu

je joue à cache-cache

avec ma solitude rompue.

 

 

 

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25 juin 2009 4 25 /06 /juin /2009 19:03

 

 

Je veux raconter un hasard immense de la vie.

 

Du temps où je travaillais encore, j’eus l’idée de réaliser avec mes stagiaires d’ateliers de lectures une brochure à partir de quelques passages du livre de Primo Lévi « Si c’est un homme. ». Lors de mes ateliers, j’aimais toujours faire participer des invités. Une collègue me dit, lors d’une pause café, tu devrais rencontrer Elie Arditti. Il accepterait certainement ton invitation. Elle me dit qu’il était un des derniers survivants de ces années là et que son histoire était exemplaire pour des jeunes. J’allais donc le voir et le hasard fit qu’il habitait à 300 mètres de chez moi. Je me rendis très émue chez lui où je fus accueillie avec douceur. J’étais émue, craintive d’être intrusive, de le troubler, de réveiller des souvenirs douloureux. En 1943, il avait 19 ans. Notre conversation commença et dès les premiers mots nous nous aperçûmes qu’il avait été dans le même convoi que ma grand-mère Fortunée –le convoi du 24 janvier 1943 de Marseille à destination de Compiègne d'où 804 juifs seront ensuite acheminés vers Drancy- De ce convoi, il fit « Le saut pour la vie »  (titre d’un film documentaire réalisé par Jacob Haggaï qui lui fut consacré) et s’échappa. A temps. Notre émotion fut immense, en lisant des archives de Serge Klarsfeld que bien sûr, Elie Arditti possédait. Mon cœur battait, il avait les larmes aux yeux. Quelque chose qui traversait le temps et l’histoire venait aboutir chez nous, voisins si proches, au cœur de ma vie professionnelle.

 

Il vint à mon atelier de lectures.L’échange avec les jeunes fut émouvant. Elie apprécia mon travail, sut me le dire et ce fut le début d’une amitié avec lui  Nous nous revîmes  dans la douceur du temps du partage d’une expérience si profonde pour nous. D’une expérience de mémoire toujours à transmettre.

 

Je  raconterai l’histoire de mon ami Elie. Pour ce, je m’aiderai de son témoignage écrit dans le livre intitulé :

 

Marseille, Vichy et les nazis ; Le temps des rafles, la déportation des juifs. Préface de Pierre Vidal-Naquet.  (116-118) et (124-126) Ce livre, il me l 'a dédicacé d’une main tremblante, dans une écriture chère à mon cœur. :

 

A Marie-josé Colet,

En souvenir de votre grand-mère Fortunée Abignoli qui a fait le voyage dans le même train que moi le 24 janvier 1943.

Ma pensée va vers elle et vers tous ceux qui était dans le même convoi.

Merci de transmettre la mémoire aux jeunes générations.

Soyez toujours courageuse et n’ayez jamais peur de personne.

Je vous embrasse Elie

 

Mais je me réfèrerai surtout à ses brouillons qu’il va me prêter pour que je les retranscrive.

 

A suivre donc, dans le temps du souvenir et de la transmission… MJC

 

 

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23 juin 2009 2 23 /06 /juin /2009 19:16
DAVID GROSSMAN
Voir ci-dessous : amour

Editions du seuil
Point poche P152

 

Une histoire qui me raconte dans un alphabet qui m’épelle.

 

A Amour. Auschwitz. Ame. L’amour est-il possible après Auschwitz ? Il faudrait décortiquer l’homme jusqu’au ion zéro pour découvrir ce qu’aurait pu être le mot amour avant Auschwitz, avant qu’il ne soit synonyme d’angoisse et de douleur. Auschwitz (voir I d’Indicible, d’Impossible représentation d’Auschwitz,  H d’Horreur,  S de Shéréhazade) A.  Assassin (voir  N. Neugel)

 

B  Bébé. Kazik, fils de Fried et de Paula (soixante dix ans). Il dit « pa-pa » et Fried en pleure. Kazik sourit d’abord avec son coude puis avec le genou et enfin le sourire se place avec les dents .B. Bête nazie combattue par Momik, en solitaire. Il veut devenir écrivain et raconter Bruno Schulz. Il y parviendra magistralement dans le temps de la longue métaphore de la seconde partie (Voir M : Mer et S . Saumons )

 

 

C Cri de Munch qui traverse le roman comme le hasard de la douleur. (Voir D . Désespoir.) C. Citrine Hannah. Elle pleure toutes les nuits, dans la rue, toute nue.

 

D Désespoir de Munch dans le hasard d’un cri. Don de David Grossman pour écrire la déshumanisation des bourreaux et des victimes. (Voir M. : Métaphore) D. récit parfois Daté : 1943

 

 

E Enfer. Ecriture d’Auschwitz  (voir M de métaphore intemporelle, éternité, écume et R de réel daté). Encyclopédie de l’Holocauste  (voir Grossman) E. La disparition. Perec.( Voir L)

 

F Fiction. Auschtwitz n’est pas une fiction.  «  Les enfants au coeur vaillant » en est une. (Voir Anschel Wasserman)

 

 

G Grandir comme Kazik en vingt-quatre heures. G : Ghetto. Tout le monde sait ce que sait  (Voir P.Pologne) G. Grossman  écrit une encyclopédie de l’Holocauste)

 

H Hitler et rien d’autre. Pas même Hiatus, pas même Humanité, pas même Histoire d’Anschel Wasserman

 

 

I Impossible représentation de l’Indicible camp de concentration Auschtwitz (voir M de Mer Intemporelle et M de Momik).  I. Indicible (voir T de Torture et W de Wagons.). I. d’Interrogations sur l’art et sur l’Holocauste.

 

J Juif. Voir Shoah. Mémoire de la Shoah. Hors-série du Nouvel Observateur

 

 

K Kapo. Tout le monde connaît

 

L Lettre manquante pour L’être manquant (Voir Disparition de Perec. E)

 

 

M M de Monstre (voir Neigel)  Métaphore : M la mer. Déshumanisation des victimes (voir S : saumons). Déshumanisation des bourreaux : M de Momik.  M. style Merveilleux de la deuxième partie du roman (voir R. Roman). M ; Munch (voir Peintre)

 

N  Neigel (Voir A. Assassin, M. Monstre.) Nuances impossibles.

 

 

O Otto, chef des enfants au coeur vaillant. On parle souvent de lui. O de Onanisme : « se toucher en bas » dit Kazik

 

P Peintre (Voir Munch. Le Cri et Mélancholy, couverture du livre). P. Peur. (voir écrivain  Untel Citation p.158 : « Je t’ai parlé de la peur. Et de ce grand-père, que je n’arrive pas à faire revivre, pas même dans une histoire. Et aussi de mon incapacité à comprendre ma propre vie tant que je ne saurais rien de ma-vie-non-vécue Là-Bas. » ; P. Pologne (voir G. Ghetto)


Q  Question Il a  trop peur et ne peut poser des questions Questionnement de l’art,  de l’écriture, de l’Holocauste.

 


  R Roman de Grossman Voir ci-Dessous : Amour. A lire un jour d’indicible.

 

S Style fabuleux. S. Schulz (Bruno). Grand écrivain juif abattu pendant la guerre par un nazi. J’ai envie de le lire. Un jour. Je veux d’abord lire « La paix différée »  de David Grossman. Seuil

 

T Torture (voir I indicible). T : Temps. Voir page 610

 

                 U  Ecrivain Untel. Grossman, Neuman, toi, moi. (voir P. Peur)

 

V  Vague. Vaguelette (Voir M Métaphore, Mer). V. « J’aime vivre » à remplacer    par manger des oignons et des harengs (Anschel Wasserman) Vérité comme une morsure.

 

W. Wagons (Voir I. Indicible). W. Wasserman

 

                 X   En panne

 

                Y    Yanouka (gosse, bambin)

 

Z   Zalmanson, ami du grand-père. Z. Zoo. Un des lieux de l’histoire du grand-  père, Anschel Wasserman.

 

Voir-ci-dessous : Amour.  Un alphabet. à apprendre  quand le temps sera venu.

 

Marie-José Colet .

Montauban,  janvier 25 janvier 2004

 

 

 

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19 juin 2009 5 19 /06 /juin /2009 09:20
Cinquième colloque de Lacaune
La Shoah dans les départements
français
Déportation, sauvetage, survie
12-13 septembre 2009

Soutenu par
Conseil scientifique de l’université de Toulouse-le Mirail
Conduit par
Équipe DIASPORAS, laboratoire FRAMESPA, CNRS (Patrick Cabanel)

Organisé par
Association amitiés judéo-lacaunaises
Placé sous le parrainage de
Simone Veil

Samedi 12 septembre 9h – 17 h
9 :00 : Ouverture par Daniel Filâtre, Président de l’université Toulouse-le Mirail
9 :30 – 12 :00 : Approches d’ensemble
Roger Fichtenberg, Grand témoin, directeur de la maison du COJASOR de Lacaune (1945-46)

Serge Klarsfeld, Association des fils et filles des déportés juifs de France : Le nouveau mémorial de la déportation des Juifs de France et les recherches départementales

Jacques Sémelin, historien et politiste , directeur de recherche CNRS
(CERI-Sciences Po Paris) : Survie et sauvetage des Juifs "au ras des pâquerettes"

(Annie Kriegel) : éléments pour une nouvelle recherche

Robert Mencherini, historien, université d’Aix-Marseille : De l'internement des
étrangers à la déportation des Juifs dans les Bouches-du-Rhône
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14:00 – 16 :30 : La Shoah dans le sud de la France
Séance présidée par Nicole Yardéni, Présidente du CRIF-Midi-Pyrénées
Alexandre Doulut, doctorant en histoire, université Paris VII : La déportation des Juifs de Lot-et-Garonne

Michaël Lancu : historien, u niversité Babes-Bolyai de Cluj (Roumanie): Les Juifs dans le département de l'Hérault sous Vichy (1940-1944)
Philippe Souleau, doctorant en histoire, université Paris 1 : La question juive à
Bordeaux / exclusion, persécution et résilience

Renée Dray-Bensoussan, historienne, IUFM de Marseille : La question juive à
Marseille

Olivier Héral, orthophoniste, Association amitiés judéo-lacaunaises : Histoire d’un déporté du Tarn, Jacob Fraiman

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7 juin 2009 7 07 /06 /juin /2009 19:27

    Maman, tu n'as pu refaire ta vie après Drançy et pourtant tu as vécu très fort, et pourtant tu as aimé encore plus fort. Paradoxe de la mort à laquelle tu as échappé et qui malgré tout ne t'a pas lâchée... Ils ont arrêté ta mère,  mais toi,  à temps tu t'es cachée et jamais tu ne t'es pardonnée. Tu as vécu coupable, en coupable. Ils t'ont volé ta mère, ils t'ont volé ta conscience, ils nous ont volé à nous tes filles, notre mère. Je les hais et je hais cette guerre mondiale et seconde. Je hais les collaborateurs. Collaborateur rime avec malheur. Collaborateur rime avec menteur. Collaborateur rime avec voleur. Voleur de vie. Voleur d'enfance.

 

        Aujourd'hui, maman tu as 75 ans. Tu nous a transmis les livres et la lutte. Tu nous as transmis le non aux fascistes et à la barbarie. De nos jours, les barbares sont si nombreux partout,  qu'on ne sait plus où donner de la lutte. Pire que la mauvaise herbe. On arrache et ça repousse de plus belle...

 

        Par ce passé qui fut le tien, par ce présent qui est le nôtre, par ce monde de meilleur et de pire, par ces vallées de larmes et de rires que sont nos vies, je te promets de ne jamais ranger mes livres et si, un jour malgré tout, un jour d'orange, je devais le faire pour cause de vie à continuer, j’inventerai la lettre E d'écriture. J’écrirai un livre. "Ce serait un livre aussi long que les Mille et Une Nuit, peut-être mais tout autre. Ce serait un livre qui raconterait mes livres. Mais était-il encore temps pour moi ? N'était-il pas trop tard ?"

 

Passage d’une première version de La femme qui lit. Texte inédit de 1995

 

MJC

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2 juin 2009 2 02 /06 /juin /2009 09:03

 

Et puisqu’il fallait continuer Clara continuerait avec Hannah Arendt, la si grande philosophe politique, née le 14 octobre 1906 en Allemagne et morte, entourée d’amis à New York le 4 décembre 1975.

 

 Clara aimait son beau visage de jeunesse et son sourire de femme mûre. Clara trouvait parfois qu’elle lui ressemblait. Le regard surtout qui abritait la pensée dans une certaine attente. La pensée non éclose. La pensée à advenir, l’existence à  survenir parce que penser c’était exister passionnément pour Hannah comme pour Clara. Les livres étaient là pour nous sauver de la solitude pensait depuis toujours Clara et Hannah Arendt avait sauvé Clara du désespoir de la mort de celles qu’elle aimait et du désespoir d’une société de marges et d’exclusions, d’une société où la parole des parias étaient encore trop souvent largement ignorée.  Ce qu’aimait Clara dans l’oeuvre d’Hannah Arendt c’était le génie de la pensée et des langues qui abritaient cet immense fleuve de pensée. Comment pourrais-je  parler d’Hannah Arendt  sans parler l’anglais, l’allemand et le grec sans avoir lu Platon, Aristote, Sophocle, Hérodote, Héraclite, Heidegger, Nietzsche, Marx, Jasper, Kierkegaard, Kant, Locke, Hobbes, Lazare et tant et tant d’autres ? Hannah était une femme de mots et de livres. La seule chose qui l’intéressait au monde c’était de penser. Et en cela, Clara lui faisait écho. Depuis toute petite Clara pensait. Elle le savait. C’était inscrit dans les cernes de ses yeux, dans ses migraines trop fréquentes, dans son regard solitaire mais aussi dans ses enthousiasmes féconds qui donnaient à sa bouche tant de sourires et de rires.

 

Clara aimait lire Hannah parce qu’elle  interrogeait le monde et dépassait la solitude de penser seule, ce que Hannah appelait la pensée dialogique. Hannah posait des questions. Sans cesse. Sur la culture, sur le mensonge, sur la violence dans la politique, sur sa judéité et celle des autres, sur l’amour, sur l’amitié, sur la justice, sur la volonté, sur la réconciliation et le pardon, sur le mal celui si radical des nazis, sur celui de tous les totalitarismes, sur Eichmann, sur les philosophes, Jaspers, Heidegger, sur les poètes, sur Rainer Maria Rilke, sur son ami Walter Benjamin, sur ses deux maris, le second, dont elle fut si amoureuse, parce qu’elle l’aimait et qu’il reconnaissait son identité d’intellectuelle, compagnon de ses engagements de vie : l’écriture et la politique.  Elle écrivait du lieu de ses poèmes et de ses ombres. Elle écrivait ses exils, les géographiques et ceux de l’âme. Clara comme Hannah se sentait en exil d’elle-même. Un exil qui venait de l’enfance. Clara l’enfant silencieuse, Hannah, l’enfant de silence et déjà de questions. Il fallait comprendre. Il fallait penser pour prendre racine dans ce monde si affolant des adultes puis des autres qui inventaient cette politique qui toujours avait passionné Hannah comme Clara ; la politique lieu de rencontre des humains dans l’histoire des générations sans cesse inventée, de ce pluriel sans cesse recrée à partir de la singularité de chacun. Clara, Hannah, deux femmes cherchant à comprendre, à défendre le monde des parias contre celui des parvenus.  Hannah avait été longtemps apatride, sans lieu pour penser, et donner la parole aux parias, lui était essentiel. Essentiel aussi, leur donner l’accès à la pensée pour que jamais le Mal radical ne revienne, donner la parole aux parias, leur donner l’accès à la pensée pour que s’installe une vraie démocratie, celle qui dirait un non définitif au totalitarisme qui tuait la singularité et le pluriel, qui engendrait le « tous pareils », la toute-puissance du pouvoir. Comprendre. Prendre racine dans la profondeur de l’humain. Comprendre pour dénoncer ceux qui un jour dirent que les hommes, les juifs mais d’autres aussi pouvaient être superflus. Hannah écrivait, Clara lisait, Hannah et Clara s’engageaient dans ce monde de vies, d’existence et de pensée. Deux femmes qui refusaient les chemins de l’injustice. Deux femmes qui lisaient passionnément, deux femmes qui cherchaient jusqu’à l’épuisement, deux femmes qui aimaient le murmure du vent et les plaines labourées par leurs pensées incessantes. Deux femmes complexes, dans le paradoxe du non-manichéen et du pluriel, deux femmes qui défendaient et croyaient aux concepts de liberté, d’égalité, de fraternité. Clara disait adelphité parce que ce mot recouvrait de l’harmonie entre les hommes et les femmes. Hannah disait que le UN de chacun n’existait qu’à partir du pluriel des autres ; Hannah disait que chacun était un QUI ne pouvant se révéler que dans le réseau des autres humains, que dans la cité ; c’était pour cette raison même que Clara aimait la vie associative qui toujours faisait réseau pour les uns et pour les autres, tissu social garant de démocratie en était convaincue Clara. De démocratie et d’existence.

 

Ainsi Clara était engagée dans le Réseau Education Sans Frontières parce qu’il disait non à ce qui pouvait être, par manque de vigilance, un nouveau Vichy, de nouveaux centres de rétentions,  des exclusions inhumaines, des vérifications de papiers, un quota scandaleux à respecter, le non-respect des droits de l’homme enfin, Clara engagée dans la Cimade, informant de leurs droits les étrangers,  dont la seule terre était maintenant terre d’exclusion et de chagrin,  accueillait dans son cœur les exilés

 

Ainsi dans son travail de formatrice d’ateliers de lecture qu’elle animait depuis des années,  Clara laissait une large place au travail citoyen de tous ceux qui aidait à constituer l’identité de chacun. C’était sa foi et celle d’Hannah Arendt. L’être humain existait à partir de la cité et voilà pourquoi pensaient ces deux femmes l’exclusion était un crime. Exclure de la cité sous toutes formes d’exclusion c’était priver de parole celui ou celle qu’on excluait et priver de parole c’était priver d’action, c’était priver d’être, c’était priver de récit, celui-là même qui rendait possible de supporter tout chagrin.

 

Ainsi Clara luttait auprès des hommes pour la prise en compte des difficultés spécifiques des femmes et de leurs droits à  les défendre.

 

Ainsi Clara luttait contre tout ce qui faisait exclusion  en travaillant, en lisant, en écrivant, en militant, en parlant, en marchant dans sa ville.

 

Hannah aimait les récits et Clara aussi. La lecture, les livres étaient des récits, Les Milles et une nuits de leurs jours et de leurs vies, Les milles et une nuits qui les tenaient en vie dans le suspens de leur temps et de leur mémoire, dans le souffle de ce qui se renouvelle sans cesse : la promesse tenue à l’autre de continuer malgré l’oubli. Et ce depuis l’antiquité.

 

Clara connaissait  peu les textes antiques mais Hannah ne connaissait que  ceux là. Son texte saignait de langue grecque. C’était beau à lire, cette fente du texte dont s’échappait la langue grecque, comme un fleuve de vie d’une blessure qui aurait pu tuer Hannah, la femme blessée d’être femme, blessée de son enfance quand son père syphilitique mourut, Hannah, la juive blessée qui dut s’exiler,  Hannah la juive qui du découvrir la Shoah dans un après-guerre de paroles terribles si terribles qu’elles parurent incroyables à Hannah, à Flora, la mère de Clara. De l’impossible à croire et l’humanité s’écroule dans le néant. Oui, ça avait eu lieu, le Mal radical, celui qu’on ne pouvait pardonner, celui qui rendait impossible toute réconciliation, tout partage. La Shoah ou l’impossible des hommes, Hannah dont la langue maternelle l’Allemand fut une souffrance à laquelle elle ne voulut jamais renoncer. Alors, elle apprit l’Anglais, se fit traduire en français, inventa un compromis avec le grec, splendeur des anciens qui la pansa, lui redonna vie. C’était possible de vivre avec Sophocle, Hérodote, c’était possible de vivre avec la polis comme référence de pensée, c’était possible de continuer avec la nécessité retrouvée de la cité. C’était possible de vivre dans la citoyenneté parce que la politique c’était le pluriel du monde et le respect du singulier de chacun. Hannah et Clara par la politique vivaient leur engagement de femmes debout, par leur paradoxe, elles luttaient contre une pensée totalisante et toute puissante. Elles étaient singulières quand le pluriel mettait fin à la toute puissance de la solitude. Les livres étaient un immense pluriel et c’est pour cela pensaient-elles toutes deux que la pensée de tous et de chacun devaient être par la culture. Mais Hannah était limpide et exigeante sur ce point. Rien n’était pire que de ne pas penser car ne pas penser laissait place à l’obéissance servile et obtuse, telle celle d’un Eichmann, d’un n’importe qui robotisé à l’extrême où les ordres envahissaient le cerveau vide. Mais tout aussi immensément terrible était un cerveau plein de pensées solitaires, qui ne seraient pas confrontées au pluriel des autres, un cerveau dialogique dans la toute puissance de la tour d’ivoire, dans le piège du renard Heidegger qui le menait à trahir ses amis juifs. Le bout du chemin. Le bout du désastre et de la honte.  Heidegger l’amant était le paradoxe d’Hannah quand le rapport Maître, élève signifiait l’impossible du désarroi de la femme. Toujours la femme. Quand la femme souffrait. Quand Hannah et Clara pensaient et pansaient leur solitude. Changer de ligne. Lire. Tourner la page.

 

 

Faire jaillir les étincelles quand Hannah comparait splendidement le surgissement de la pensée à l’étincelle de deux pierres à feu. La pensée ne pouvait que surgir, elle ne s’élaborait pas, elle ne se démontrait pas. Si, sans doute, elle s’élaborait car Hannah Arendt était une femme rigoureuse mais elle s’élaborait dans un second temps. Après le surgissement, l’étoile filante dans les ténèbres de la solitude, après l’étincelle. La pensée alors pouvait advenir dans  une élaboration sans violence. La logique était violente. Combien Clara suivait Hannah sur ce chemin là. Clara détestait les gens qui démontraient les choses. Elle les fuyait, elle les craignait parce qu’ils dévidaient leur vie de leurs affects. Elle savait que même les sciences les plus exactes laissaient une place nécessaire au célèbre Euréka ! La pensée ne pouvait être qu’un Euréka même si le fleuve souterrain coulait lentement avant et après l’élan. La pensée humaine pour être belle et vivante devait être lente et puissante mais jamais violente. Et Clara aimait Hannah pour cela. Sa douce lenteur, ses répétitions et puis soudain elle disait ce qu’il fallait dire : les totalitarismes à dénoncer, la complexité du sionisme, les interprétations des antisémitismes, l’histoire, le travail, le questionnement sur Marx, le danger de l’acosmisme, la philosophie de l’étant, la philosophie politique, le risque politique des états nations, les démocraties en danger. Elle  pensait, elle pensait, n’arrêtait pas, elle marchait dans l’espace du monde qui tournait, qui vivait, qui cherchait. Hannah était une chercheuse d’or,  l’or de ce qui serait le  meilleur des hommes, la foi dans leur pluriel si le pire n’existait pas.

 

Le génocide. Pour Clara, un être sa grand-mère. Pour Hannah, une longue, très longue pensée, après avoir échappé de justesse au nazisme et au camp de rétention dont elle put s’échapper à temps.

 

Il était une fois des juifs indécis qui ne savaient s’ils voulaient être assimilés ou non.

 

Il  était une fois des juifs dont la conscience politique était trop rare, dans une histoire « sans politique »

 

Leur solitude. Toujours de la solitude. Alors Hannah racontait, contait même la politique.

 

Il était une fois l’affaire Dreyfus.

 

Il était une fois Panama.

 

 Il était une fois, la IIIe république. Il était une fois l’état nation et  l’expansionnisme, le pouvoir et la bourgeoisie.

 

Il était une fois la foule.

 

 Il était une fois l’impérialisme, ses investissements et l’accumulation des pouvoirs. La perte du lien humain et soudain le racisme. Non ! Pas soudain. Dans la lenteur des siècles. Gobineau. Le cancer. La bête immonde. Le chômage. Le fascisme. La montée d’Hitler. L’impensable. Le Mal radical.

 

 Enumérer pour dire l’impossible phrase humaine. Quand ’humanité avait perdu ses liens, Quand la phrase avait perdu son verbe, quand les pierres à feu avaient perdu leur étincelle. La coupure d’avec l’humain. Le désastre dans l’humanité. Quand l’horreur se faisait génocide ou le contraire. Les contraires étaient brisés. Restait le rien qui chavire celui qui reste. Restait la tragédie. Non pas celle de Sophocle qui disait l’histoire des hommes. Celle d’Hitler qui la détruisait.

 

Mais Hannah reconstruisait et écrivait La condition de l’homme moderne. Le livre d’Hannah que Clara avait préféré. Qu’inventait l’homme pour ne pas tomber dans l’impensable du totalitarisme ?  Il était  alors une fois, le travail, la création, la pensée, l’action. La nécessaire politique pour s’y retrouver citoyens et non plus opprimés ou parias. Il était une fois, la promesse, le recommencement, la naissance. Clara avait trois enfants et avait connu ce miracle de liberté par trois fois. Clara pouvait continuer malgré la détresse du monde parce qu’elle avait à transmettre ce même monde dans le mouvement de ses engagements, dans le mouvement de l’imprévisible de sa vie, dans le malentendu d’exister et d’aimer. Dans le malentendu d’insister pour le meilleur, elle femme existante, elle femme insistante, elle femme résistante, elle femme obstinée.

 

Clara lisait Hannah avec son intelligence, avec son âme, avec son corps trop souvent fatigué et parfois Clara ne comprenait plus Hannah. Alors, elle refermait le livre mais le lendemain, elle le reprenait. Dans le temps alterné du livre qui se fermait  et qui s’ouvrait, Clara continuait sa lecture et sa vie. Son amitié avec Hannah l’intelligente, la déterminée à être, la soutenait, l’emportait dans l’Histoire, la solidifiait, la consolidait, elle la fragile. Parfois, Clara ralentissait son engagement dans la lecture d’Hannah ; elle hésitait. Clara savait être une femme hésitante. Une femme pensive au-dessus d’une vérité vacillante. Quand elle lisait Eichmann à Jérusalem, elle lisait avec une lenteur extrême. Elle n’était pas suffisamment historienne pour valider ou invalider la thèse de la coopération des Conseils juifs à la déportation. Clara ne savait pas et la page devenait voile noir de désespérance car Clara, femme désespérée pouvait imaginer que cela fut possible, un tel effondrement moral. Elle ne jugerait pas. Elle pleurerait. Comme Hannah qui elle aussi était désespérée, mais d’un désespoir qui ne pouvait se dire. Clara lisant ce livre sur Eichmann percevait une immense rigueur qui semblait contenir ce désespoir. S’il n’était pas contenu Hannah en mourrait. Alors, s’inscrivirent sur les pages du livre les mots pour dire un regard impitoyable sur la réalité psychique d’Eichmann et de quelques autres Eichmann qui s’ignoraient, des Eichmann potentiels à force d’obéissance à la loi, au  règlement, au texte. Et Clara, décidément désespérée connaissait de telles personnes « appliquées » « On nous le demande. » On nous le demande l’absurde et le quantifiable. Cette description de la banalité du mal la terrifiait, la glaçait et c’est pour cette raison là qu’elle lisait si lentement ce livre là. Elle lirait toute roide mais elle le lirait jusqu’au bout du chemin noir qu’il traçait. Et Clara savait sa nécessité à elle, de professionnelle obstinée. Elle continuerait envers et contre toutes les difficultés rencontrées ses ateliers de lectures qui bousculaient la rigidité  potentielle des textes et qui d’une certaine façon lente introduisait la subversion dans la lecture et ralentissaient l’obéissance au texte. Si on n'est pas sûr de ce que dit un texte, on va plus doucement, on interroge sa propre histoire et même peut-être ses propres pulsions. Bien sûr Clara introduirait ce désordre et cette subversion en douceur car l’introduire violemment serait tomber dans le même excès qu’une rigueur à la lettre. Pour Clara, lire était un acte doux qui se réalisait dans la banalité du Bien des Justes, dans un vivre ensemble qui ne cesserait jamais. Robinson Crusoé est une métaphore splendide de la solitude mais tout au bout de cette métaphore, à portée de main de Robinson, on rencontrait Vendredi qui écrivait le pluriel de Robinson à partir duquel il s’écrivait UN, à partir duquel il ne cesserait pas de parler avec un autre qui lui permettrait de rester humain, Homme à con-naître

 

Co-naissance, naissance avec Connaissance. Clara aimait Hannah qui la guidait dans ce chemin là de l’existence. Freud avait aidé Clara dans tout ce qui faisait insistance à sa vie, Gandhi et Martin Luther King avait aidé à Clara dans tout ce qui faisait résistance civile à sa vie, une longue liste d’écrivaines femmes  avaient aidée Clara à s’affirmer  dans l’élaboration de la sororité mais Hannah l’avait aidé à naître dans son engagement politique. Clara restait définitivement à gauche de l’Hémicycle mais elle resterait toujours et principalement  attentive à la superfluité, au pluralisme, à la singularité de chacun et surtout aux parias, à leur parole. Clara avait choisi l’acte de lire et celui d’écrire pour combattre.

 

C’est pour cela que mon engagement à Empan reste si fidèle. Chaque main est empreinte unique mais si nous tous hommes et femmes de bonne volonté, nous tous si différents nous  nous donnions la main alors...

 

Mais Clara savait que la beauté du monde ne pouvait se loger ailleurs que dans cet indicible point de suspension. Alors Clara continuait sa lecture d’Hannah Arendt.

 

Il lui faudrait lire Kant pour comprendre Juger, l’oeuvre en suspens de la mort d’Hannah, sa dernière feuille sur sa machine à écrire ;  malgré tout Clara a pressenti dans cette lecture là ce qu’elle avait en elle depuis toujours : le rêve d’une nécessaire communicabilité entre les hommes pour qu’advienne une nécessaire citoyenneté, une nécessaire responsabilité, une nécessaire fraternité ; et surtout un nécessaire amour, un nécessaire lien entre les hommes et les femmes. Clara lirait encore, la thèse d’Hannah  Le concept d’amour chez Augustin

 

Et c’est pour tout cela que Clara  une juive laïque et lectrice et écrivaine aimait Hannah, une juive laïque et lectrice et écrivaine. Clara si pensive aimait Hannah la penseuse La pensée d’Hannah Arendt pansait Clara de sa souffrance du monde et grâce à elle, elle pouvait continuer parce qu’elle pouvait mettre du sens sur les blessures du monde et même sur la Shoah. Un tout petit peu de sens. Et même sur d’autres génocides. Chaque génocide commençait par la volonté d’un seul de tuer le pluriel d’un peuple. Seules des pensées plurielles pouvaient s’y opposer et c’étaient ces pensées plurielles que Clara cherchaient dans les livres et dans leur partage. Parler les livres c’était les agir dans la pluralité de tous. Chaque lecteur emportait avec lui parole et action si chères à Hannah Arendt.

 

Hannah Arendt était une auteure d’une extrême ampleur et Clara savait que sa vie n’y suffirait pas à l’étudier comme elle l’avait étudié Freud dans sa jeunesse du temps où elle voulait devenir psychanalyste pour aider les autres à être, à naître ou renaître et à s’y reconnaître pour mieux commencer et recommencer la liberté citoyenne.  Et dans sa quête de lectures de la femme mûre qu’elle était devenue elle ne voulait pas renoncer à sa quête de jeunesse ; elle voulait comprendre l’histoire et la politique à partir de l’expérience, à partir de son expérience de femme, à partir des actualités politiques, à partir des scandales de l’humain toujours à dénoncer, à combattre.

 

De nombreux auteurs aidaient Clara, l’autodidacte dans sa découverte d’Hannah Arendt : Martine Leibovici, Françoise Collins, Wolfgang Heuer, Julia Kristeva, Laure Adler, Sylvie Courtine –Denamy, Fred Poché.


Clara pour se soigner du temps quand il se faisait totalitarisme sortait toujours de sa bibliothèque de nuit et de lumière, qu’elle nommait l’Alhambra, un  livre d’ Hannah Arendt. Ainsi elle reprenait pied dans la pensée, dans cette pensée qui accompagnait et engendrait ses luttes militantes, celles de chaque jour, dans ses pensées qui faisaient d’elle une fourmi efficace auprès de tant d’autres fourmis, ses camarades oeuvrant  à tuer  la bête immonde dévastant de sa gueule furieuse la planète.

 

Extrait de La femme qui lit . Marie-José Colet Inédit Février 2008

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31 mai 2009 7 31 /05 /mai /2009 17:15

Puis, Clara avait  écouté, à nouveau,  la cassette de Flora, celle où elle lisait Buber. Flora disait la force des générations et de la communauté qui faisait l’antériorité du destin du juif. Elle lisait, insistant sur cette force d’intériorité de la communauté dans laquelle venait s’inscrire chaque destin individuel juif. A l’écouter, Clara mesurait l’horreur des camps qui avait détruit cette communauté et qui l’avait ainsi privée de toute antériorité, du lieu de son inscription initiale et qui de ce fait l’ont pulvérisée en atomes indistincts. Flora ne pouvait être que définitivement anti institutionnelle - des institutions d’une communauté qui n’était pas sienne. -Anti institutionnelle- sa faiblesse et sa richesse. Anti institutionnelle, quelque chose que Flora avait transmis à Clara. Du mal-être dans les groupes. Un impossible nombril existentiel parce que le cordon n’était rattaché à nulle part. Hitler leur avait volé leur inscription, leur antériorité et à Clara, plus qu’à Flora encore. Flora avait connu une enfance juive, Clara, elle, en restait béante. Clara lisait pour combler cette béance culturelle. Elle lisait du japonais et du juif, du français et de l’anglais, du russe et de l’américain, de l’espagnol et du chilien, de l’africain parfois aussi. Clara lisait de l’universel. L’universel était son antériorité.

 

L’orage grondait. Il pleuvait. La lumière était douce. Elisabeth allait mieux.

 

Clara reprenait les réflexions de Flora sur BUBER.

 

Flora insistait sur l’élan créateur juif et sur la joie juive qui reposait sur la recherche de l’unité à partir de la division du moi. Clara avait alors pensé que Freud était bien juif et qu’alors son engagement dans la psychanalyse, était sa façon à elle d’être juive. Mais pourquoi Flora, étais-elle si hostile à la psychanalyse, s’interrogeait Clara ? Quel était son temps existentiel ?  Puis Clara avait écouté la suite. C’était réellement impressionnant. Flora leur parlait à elles, Sylvie Clara. C’était leur héritage spirituel : « la joie juive » et l’idée de Dieu ; entre chaque passage Flora disait : « STOP ! » Cela scandait les jours de sa lecture. 

 

Soudain Clara se sentit « femme d’un certain âge », elle devenait triste, triste. Les larmes coulèrent sur ses joues que Flora avait tant embrassées.


Passage de La femme en retard Marie-José Colet Editions La Brochure. 2008

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