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11 mai 2009 1 11 /05 /mai /2009 22:09

Au départ de son histoire, la ville de Drancy. Ainsi, elle lut le livre de Maurice Rajfus, ainsi j’écrivis pour Empan. (N°66)

 

 

Lire et penser était pour Clara donner sens à son histoire. C’était construire sa mémoire. La mémoire de son histoire. Clara avait vécu toute son enfance avec cette histoire là de La Shoah non dite. Flora refusait de parler de cela. La Shoah, c’était la culpabilité de Flora qui avait demandé à Fortunée  de se cacher. Fortuné avait refusé « elle n’avait rien fait de mal » disait- elle. Flora s’était cachée avec son amant. Elle avait été sauvée. Fortunée non. Elle avait été prise dans la rafle du 22 janvier 1943 à Marseille organisée par la police française. Elle avait été conduite à Drancy puis le printemps venue dirigée sur Sobibor où elle n’était jamais arrivée. Cette histoire là, c’était la sombre histoire de Clara qui l’avait menée au bout de son identité, de sa détresse, de sa solitude. Pourtant comme Flora, « elle n’avait rien fait ». Le trauma de la Shoah se transmettait de génération en génération. L’innocence, la culpabilité, la souffrance. Clara dans les livres cherchait Drancy, cherchait la Shoah pour ne plus subir, pour vivre dans son histoire. Pour être et transmettre du trauma symbolisé et donc humain. Voilà pourquoi Clara lisait tant creusant le génocide.

 

DRANCY

Un camp de concentration

 très ordinaire

MAURICE RAJSFUS

Le cherche Midi Editeur

Document J’ai lu N° 6002 (399 pages)

 

Un vendredi de février, je suis allée voir ma grand-mère au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy L’Asnier 75 0004 Paris. Tél. 01 42 77 44 72  -Fax 01 48 87 12 5O Métro Saint Paul. Là mon regard s’est longuement posé sur le mur 1943 ; j’ai pensé à elle que je n’ai jamais connue et une larme noire a coulé. J’ai lu d’autres noms de mes amis et un lien invisible mais ténu m’a réuni à eux. Devant tous, je me suis recueillie avec tendresse, amour, respect, dans l’infini de moi-même.

 

Puis, dans l’enceinte du Mémorial, je me suis rendue au musée. Immensément déchirant. Des photos, des documents, des archives, des listes, des lettres, des témoignages, des paroles, des récits, des souvenirs. Rien que de la mémoire. J’ai traversé très vite les salles que j’ai frôlées bien plus qu’habitées ; ça me reprenait le vertige de vivre qui parfois me plaque au sol. Mais je n’ai pas été assez vite et j’ai vu au centre d’une pièce un appareil qui servait à broyer les derniers restes des incinérés. Alors là, j’ai remonté les escaliers quatre à quatre, tout doucement avec l’angoisse de ne pas trouver la sortie. Mais parfaitement lucide, je l’ai trouvée et je suis allée au centre de documentation juive contemporaine. Là, il est possible de demander des fiches de nos disparus. Terrible victoire sur les nazis. Ils voulaient tout effacer. Ils ont perdu. Des milliers de fiches d’identité en témoignent. Des lettres sur un mur, des mots sur une feuille de papier. Il est possible alors de continuer. J’ai continué et je me suis rendue à la librairie. Là, tous ont écrit pour dire la mémoire des souvenirs. Les mots ont lutté par le talent contre la volonté génocidaire. Lutté et triomphé.

 

J’ai acheté les livres suivants :

 

- Auschwitz et après I Aucun de nous ne reviendra.

- Auschwitz et après II Une connaissance inutile

- Auschwitz et après III  Mesure de nos jours.

Ces trois tomes de Charlotte Delbo sont publiés aux éditions de minuit

- Qu’est-ce que la philosophie de l’existence ? suivi de L’existentialisme français. D’Hannah Arendt. Préface de Marc de Launay. Rivage/poche / Petite bibliothèque

- La nuit d’Elie Wiesel Editions de Minuit (poche)

- Imre Kertesz  Le chercheur de traces Actes sud J.Bashevis Singer L’esclave chez Stock

 

Et enfin, sur une table une pile de livres identiques. J’en ai acheté un :

 

- DRANCY Un camp de concentration très ordinaire MAURICE RAJSFUS

 

J’ai lu ce livre très vite, en deux ou trois fois je crois tant il était déjà écrit en moi. C’était un écho à ma mémoire inconsciente que j’ai déjà tellement travaillée, explorée. Je l’ai ouvert et j’ai pensé que je me rendais dans l’avant dernière demeure de ma grand-mère. Je voulais connaître, les escaliers, les blocs, l’encadrement, les Autorités Allemandes, les gendarmes, la police, je voulais lire les souvenirs, les témoignages, les entretiens, l’organisation des déportations, des convois, le travail de la Préfecture. Je voulais lire la première année et la dernière, les enfants... Ce livre est écrit en petits caractères et mes lunettes suffisaient à peine à prendre la mesure de ce que fut Drancy, camp de concentration très ordinaire. J’ai lu ce livre comme si je payais une dette, celle de ma mère survivante et maintenant morte. Ils ont tant souffert ces détenus de Drancy, je me devais de les connaître pour continuer humaine et debout, comme ça, sans déni. C’est le prix de la vraie sérénité, de la vraie dignité que d’exister,  c’est le prix du vrai possible des luttes, toujours, encore, maintenant contre la xénophobie, le racisme, la bêtise, « c’est leur culture », « il est juif il doit avoir de l’argent. » Bagneux 2006. Manifestation silencieuse contre l’horreur de tout ça... Continuer avec ces manifestants dans le bruit des jours contre le néant de la barbarie. Hier, maintenant, demain. Lutter debout. Connaître, reconnaître Drancy.  A tous leur dignité a été retirée, je veux lire, savoir et par ma mémoire leur restaurer. Notre mémoire est le seul espoir de faire perdre Vichy. Faire retrouver le temps à tous ceux là qui ont été déportés.

 

 J’ai lu ce livre dans le flot de mes affects bien au de-là des larmes ; mes larmes étaient captives du camp, mon regard qui parcourait les lignes était un long et silencieux sanglot. C’était serré, prégnant, poignant. Une lecture comme une longue étreinte que seule l’écriture de ces lignes peut desserrer... Le souvenir n’en finit pas de s’enfermer pour ne pas se dire, la mémoire de se taire malgré les archives. Je ne sais si son livre y parvient mais c’est un prodige d’archives qui dit ses sources et qui de ce fait confère à ce récit une portée historique. Il est toujours possible, à qui le veut, de contester certains faits, certains dialogues. C’est la noblesse de l’Histoire quand elle se fait récit humain, récit faillible à toujours réinventer mais moi, la non historienne, la lectrice quotidienne, j’ai la certitude que l’essentiel est écrit. Il y a deux passés, deux Histoires, deux France : celle des fanfares et celle du silence. C’est vrai il y a eu la France de la résistance mais c’est vrai aussi il y a celle des « missions ignobles de la police française. »

 

Dans mon histoire de femme, dans ma mémoire inconsciente devenue enfin consciente grâce à ma psychanalyse et à mes lectures, existent les deux Frances et parfois en moi, ça fait désordre : celle de mon oncle Roger fusillé à 20 ans par les Allemands et celle de ma grand-mère Fortuné arrêtée dans une rafle. On connaît la suite : Drancy. On connaît la fin : Sobibor. Et puis les survivants de tout cela, les générations suivantes. Je ne raconte pas mais l’Histoire n’en finit pas de pulvériser les vies et l’espoir. Heureusement il y a les livres, les archives. Alors les fanfares et les grandes déclarations, ça le met en colère Maurice Rajsfus et les dents serrés dans une implacable méthodologie, il écrit, il raconte, alors moi aussi en colère que lui, dans une implacable méthodologie, je lis ligne après ligne sans en sauter aucune.

 

Je vous laisse découvrir seul (e) ce livre. C’est un long cheminement intérieur que celui d’accepter l’Histoire quand elle se fait Horreur. Et pour chacun d’entre nous il y a un temps pour cela et je respecte votre temps en me taisant

 

Merci monsieur Maurice Rajfus pour votre travail d’écriture d’une mémoire qui fait écho à la mienne, merci pour vos archives qui font écho aux miennes, merci pour votre combat qui fait écho au mien. D’échos en échos, de résonances en résonances nous avançons dans la dure réalité humaine.

Merci.


Puis Clara avait lu Anne lise Stern, Primo Lévi, Myriam Anissimov, Jorfge Semprun,Robert Antelme, Imre Kertez, Jean Amery, Hannah Arendt,  Etty Hillesum,  Anne Frank, Aaron Appelfeld, William Styron, Hélène Berre, Irène Némirovsky, Pierre Vidal-Naquet ; David Rousset, Edgar Morin , Jacques Hassoun et Cécile Wajbrot, David Grossmann. Clara lisait, lisait, j’écrivais, j’écrivais et toutes deux sans cesse, nous oublions, nous refoulions.

 

La femme qui lit Inédit Hiver 2008

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