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12 avril 2010 1 12 /04 /avril /2010 17:42
Entre trauma et protection
Quels devenir pour les enfants juifs

cachés en France (1940-1944) ? (6)

Editions érès. 2009


Les enfants juifs cachés en France

ont été des enfants exposé.


Exposer un enfant est un terme mythologique qui signifie l’exposer au vent mauvais des autres, le mettre en danger jusqu’à la mort possible. Si l’enfant résiste à un tel danger, il sera exceptionnellement résistant, résilient. Peut-être…

Je ne sais pas. Pour moi, là n’est pas la question. La question est celle du scandale que constitue ces enfants exposés à la souffrance, à la maltraitance, aux humiliations, à la honte, au deuil non fait, à la disparition. Traversés de lignes  vulnérabilité, ils doivent survivre, ils survivent.


Je veux dire combien, ce chapitre m’a été douloureux à lire, je veux dire combien, il m’a semblé que je ne pourrais parvenir à en écrire le commentaire.

Toutefois, je m’y mets dans la terrible nécessité de l’écriture d’une histoire que je n’ai jamais vécue mais qui,  comme un fantôme m’habite et parfois me pousse au désespoir et au désir d’en finir d’être femme dans un monde où l’humain a pu basculer dans une telle horreur. La question n’est pas d’en finir mais de lire, d’écrire, de transmettre comme l’a fait avec tant d’énergie Marion Feldman. Qu’elle en soit remerciée pour son chemin de lecture et d’écriture, qui j’en suis certaine n’a pas dû être simple pour elle aussi.


Elle s’est attachée à décrire les lignes de vulnérabilité et la construction psychique des personnes qu’elle a interviewées dans le chapitre précédent : Nicole, Adèle et quelques-autres (voir mon commentaire précédent).


Son point de départ comme son point d’arrivée : les attaques des liens de filiations qui s’originent dans la migration. Partir… Laisser…L’impossible retour. La migration comme fait sociologique (références aux travaux de Rose Marie Moro), la migration comme investissement psychique de l’individu, la migration engendrant de graves troubles narcissiques. Avec la migration c’est tout le « berceau culturel » de l’enfant qui change de pays. Transporter un berceau, qu’il soit culturel ou non, n’est pas une mince affaire. Ce déplacement fait fracas, effraction dans la vie psychique de l’enfant. Fracas des rites d’initiation qui se brisent sur le sol du nouveau pays et avant même que de naître, tout est bousculé dans un métissage des cultures que l’enfant nouveau-né doit subir avec sa mère dans la douleur de son enfantement dans une terre qui n’est plus la sienne. Là encore, référence aux travaux de Rose Marie Moro.


Déplacement du berceau dans le temps des persécutions, des pertes, des séparations précoces ; quel que soit l’âge, les symptômes de la différence vont s’écrire, dans une sensation d’étrange étrangeté, dans une sensation de n’appartenir à aucun groupe, d’être de nulle part, dans la sensation d’avoir à vivre des disparitions d’être chers dans un silence qui fait effroi, peur, dans des moqueries, dans des humiliations. Puis la Libération arrive, il faut faire le chemin dans le sens inverse, retrouver sa famille quand elle existe, la retrouver- elle aussi dans la perte et dans la dépression. Est employé l’étonnant terme de « radioactivité ». Famille, mère radioactives. Oui, ce terme me parle. Retrouvailles difficiles voire même impossibles. C’est alors le temps des silences : silence des parents, silence des autres, silence de l’église qui a convertit pour protéger, silence du nom perdu, silence de ce nom qui devient support de toute la vulnérabilité vécue, silence des familles, silence qui fabrique le « faux-self  Winnicottien. »


Silence et antisémitisme qui comme un serpent ayant toujours sa tête continue d‘envoyer son venin de sa langue hideuse. Ainsi De Gaulle qui en 1967, a dit du peuple juif qu’il est un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, ainsi le lapsus de Raymond barre au moment de l’attentat de la rue des Rosiers, ainsi la lenteur de Mitterrand à reconnaître les crimes de Vichy. Marion Feldman expose une histoire dont on n’aime pas parler dans les grands discours électoraux. Un silence de 50 ans qui creuse un inconscient collectif difficile à lever. Marion Feldman attire notre attention sur le fait suivant qui mérite d’être souligné : les recherches auprès de la psychologie des enfants cachés sont bien plus difficiles à mener en France qu’aux Etats-Unis, en Israël et même en Belgique. Elle nous dit aussi que la Fondation pour la mémoire de la Shoah, dont la mission première est la promotion des recherches sur la Shoah, n’a pas soutenu ses recherches d’ethno psychiatre sur la psychologie des enfants cachés. La bourse lui a été refusée. Elle a eu une aide ponctuelle pour la retranscription des entretiens.


Elle souligne aussi et c’est important que la France est le pays qui a sauvé le plus grand nombre d’enfants cachés.


Toujours dans cette page 255 de son livre, elle souligne le silence de l’Eglise et de Pie XII devant les arrestations  d’un millier de juifs romains par les SS.

Dans cette même page, elle mentionne les travaux importants de Rajfus (1994) qui analyse le rôle ambivalent de l’église dans l’affaire Finaly.


Voilà pour le trauma : effraction dans le psychisme, peur, humiliations, violence, silence, deuil non-fait et disparition.


Marion Feldman étudie ensuite les conséquences de ce trauma : destruction passagère de l’ordre symbolique, fondateur de l’identité du sujet (voir travaux de Lacan), rupture et donc trouble de l’affiliation et de l’historicité dont le support visible est le changement de prénom voire même de nom (référence aux travaux de Nicole Lapierre. Voir un de mes commentaires dans cette même catégorie « La Shoah »


Marion Feldman étudie de façon approfondie les troubles identitaires des personnes qu’elle a interviewées. Je vous renvoie à une lecture attentive de son texte très clinique et que je ne saurais résumer en quelques lignes sans en altérer la qualité. Son étude porte sur l’effacement du nom, les troubles identitaires, les filiations bousculées, les diverses modes de protection.


Elle conclue enfin son étude par la singularité du vécu des enfants cachés tant pendant la guerre qu’après la guerre.


Elle insiste sur la nécessité des recherches permettant d’appréhender la souffrance des enfants cachés aux prises d’une difficile tension entre leur monde intérieur bousculé et le monde extérieur qui les accueille.


Quant à moi, je trouve ce chapitre tragiquement nécessaire tant par l’exposé des souffrances parfois non dîtes et non reconnues de ces enfants cachés que par l’exposé des nombreux travaux d’historiens, de sociologues, de psychiatres, de psychologues. Le « bruit de leurs travaux » vient à mon avis contrebalancer la souffrance des enfants cachés et le silence fait autour de cette souffrance.


A eux tous merci mais surtout merci à Marion Feldman qui outre son écoute clinique a su collecter de façon rigoureuse des travaux essentiels à la reconstruction du plus grand scandale de ce siècle constitué par l’exposition d’enfants.


Prochainement, très prochainement, j’étudierai son dernier chapitre « Récits et Traumatismes » puis ce sera le temps de sa conclusion.


Merci de votre fidélité à lire avec moi ce livre difficile mais essentiel. MJC



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