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28 juillet 2011 4 28 /07 /juillet /2011 17:03

 

Clara avait un immense capital mémoire non partagé quand  Empan m’ accueillit dans ses pages. A commencé alors le partage sur un air de Giora FEIDMAN et de sa poignante clarinette. Ainsi commença le chant retrouvé de mon écriture, celle des lectures de Clara

 

Clara avait lu tout Stéfan Zweig. Clara aimait lire « tout un auteur » parce qu’il lui semblait à chaque fois que l’auteur disait de mille et une façons ce qui le définissait lui.  Stéfan Zweig c’était la paix qu’il veut dire porté par des personnages déchirants par leur humanité. Amok, La pitié dangereuse, Bartleby, Virata. Romans, nouvelles, théâtre, essai disent l’engagement difficile mais possible pour tout être humain. Tous, chez Stéfan Zweig sont confrontés aux problème de l’engagement. C’était ce qu’aimait Clara chez cet auteur. Les milles une facette du possible dire Je m’engage.  Le livre qu’elle avait préféré et qu’elle relisait souvent c’était « Le monde d’hier ». La nouvelle qu’elle aimait beaucoup aussi et à laquelle elle avait pensé bien souvent dans sa vie  c’était « Bartleby ». Clara  pensait souvent à Bartleby quand elle entrait en résistance, quand elle même préférait ne pas le faire ce quelque chose qu’on lui demandait.

 

 N°34 J'aimais et le narrateur et Bartleby. Ils n'existent d'ailleurs que l'un par l'autre dans l'alternative de leurs désirs. Cette nouvelle était teintée de douceur, de tendresse, de violence aussi mais surtout d'humanité.

 

Stéfan ZWEIG, c'était la guerre qu'il préférait ne pas faire.  J'ai choisi de me référer à Bartleby  parce qu’il exprime la même détermination que celle de l'écriture de ZWEIG. J'ai aimé ce livre qui coule comme un fleuve d'humanité, un fleuve qui dit l'avant-guerre de 1914, la sécurité, le bien-être, la soif culturelle, la passion pour toute création qui dit Vienne la splendide. L'auteur reconnaît dans l'après-coup des événements dramatiques que cet enthousiasme a détourné toute leur génération des réalités politiques. Ils n'ont rien vu venir et la guerre éclata... J'ai été impressionnée par les descriptions d'avant-guerre (14 et 39) qui détaillent les étés ensoleillés et l'insouciance de tous. On ne pouvait y croire. Et Pourtant 1914 arriva, puis 1939. L'auteur analyse les déclarations de guerre mais aussi les différences entre les deux guerres.

 

D'une guerre à l'autre, il écrivait sa foi en l'Europe, ses amitiés avec Verhaeren, Romain Rolland et bien d'autres encore, autrichiens, français, allemands, anglais. Stéfan Zweig était un homme d'amitiés.. Je ne résume pas, il faut lire, tourner les pages avec fièvre, ralentir pour saisir le poids des propos, s'émouvoir et continuer, s'effrayer devant la montée du fascisme. Hitler, sur la colline d'en face... Hitler le bourreau... Continuer. Zweig, autrichien, juif, écrivain, humaniste, pacifiste écrit. Il connaît l'exil, les voyages. Son engagement consiste à interroger sans cesse, à écrire, à mettre en forme pour rendre possible l'impossible de l' horreur de ces deux guerres mondiales. L'idée chère à son coeur était  l'universalité.

 

Stéfan Zweig  fut un pacifiste engagé : rencontres, articles, essais, prises de position. Son livre d'une douceur extrême est passionnant d'engagements multiples.

 

Stéfan Zweig était pris dans une dialectique entre engagement et identité d'où la complexité de certaines de ses sympathies. Stéfan Zweig était un homme complexe, il n'était  pas homme de ruptures mais homme d'écoute, toujours prêt à faire des concessions, à s'engager  mais aussi à attendre, tenant compte de la réalité comme on dit mais  porteur d'un grand rêve de fraternité. C'est comme s'il disait " Je préférerai ne pas la faire, ne pouvons nous pas inventer la fraternité ? " Non, cela ne put s'inventer pas plus que la colombe ne s'envola. On creusa des tranchées, on déporta des gens, on en fusilla d'autres, on bombarda des villes, on sanglota. On se fit la guerre. Alors, en 1941, Stéfan Zweig rédigea son livre LE MONDE D'HIER, puis un soir de 1942, il pensa sans doute " Je préférerai ne pas vivre " et avec sa femme  commit l'irréparable et se suicida. 

 

Clara pensait à sa grand-mère morte dans le convoi qui l’emportait à Sobibor ; dans la nuit qui tombait sur sa maison et sur son jardin son coeur s’étouffa de noir.


Dans les jours qui suivirent, Clara ouvrit un nouveau livre de paix. Un livre professionnel. Dans sa pratique de psychologue clinicienne (Clara avait enfin trouvé du travail) elle alliait une éthique professionnelle et personnelle qui disait la paix, le droit à la différence, la pluralité des cultures. Dans Pratiques cliniques, psychopathologie et démarches interculturelles (N°35) elle retrouvait tout cela.

 

Clara avait aimé ce recueil d'articles, ces migrations existentielles, cette nécessaire affirmation de parler quelque soit la langue sur les berges de la mémoire. Clara admirait le patient  travail de cette consultation interculturelle.

 

Pour Clara, un acte clinique était un acte militant, un acte érudit où le savoir ne venait pas là pour taire les peurs, pour ordonner une utopie glacée qui dirait eux, qui dirait nous. Le savoir venait là pour que le temps d'un tremblement vacille l'écoute de ces immigrés qui souffraient d'être simplement homme ou femme, tellement différent et singulier et unique. Les ancêtres ne s'inventaient pas. Restaient les symptômes et la souffrance. Restait  pour tous à inventer une nouvelle clinique, une nouvelle terre d'asile qui donnerait sens à ce qui générait l'insensé de l'exil. Ce serait un sens qui ouvrirait les portes à la solidarité entre les êtres de toutes langues et de toutes cultures, qui fermerait les portes à l'intolérance, à l'intégrisme, à la folie.

 

Clara lisait avec intérêt l’introduction généreuse et engagée du Professeur Henri SZTULMAN décrivant les trois solitudes du livre : « psychopathologie, pratique clinique et perspective interculturelle ». Il disait  aussi non à la xénophobie, au racisme et à  l'exclusion. Il inventait le concept de « Xénopathie ». Clara aimait lire l'énergie de ces lignes dans lesquelles l'auteur nommait les écueils à vaincre. Il disait la nécessité et la rigueur de la perspective interculturelle. Il réaffirmait ce qui devait réunir les participants à ce colloque : découvrir  ce qui faisait complémentarité des savoirs et des êtres au monde avec les migrants.

 

Un colloque sur lequel je prenais des notes consciencieusement et je recopiais les nom de ces tisserands de l’espoir.

 

H. Sztulman, H.Chafai‑Salhi, Mme Faruch, Mr Toualbi, Mr Chabane, A.El Mtili, A. Kiss, N. Toualbi, Mme Dahoun, J.M Hirt, J.Hassoun, M.Martin , Mme Guelouet, L. Ottavi, S.Askkofaré et de nombreux participants anonymes.

 

Invités d'honneur: Freud, Lacan, Lévi‑Straus, E. Glissant.

 

Clara referma son livre.  Elle se sentait pleine d’énergie et de courage. Elle était forte de ses convictions partagées avec ceux qu’elle venait de lire. Un « comme eux » qui la faisait vivre fière de son métier, fière de ses jours de travail, fière d’aimer son prochain dans la simplicité de la planète retrouvée.


Un curieux homme que Clara adorait  avait inventé une planète de livres. Don Quichotte était l’ami de  La femme qui lit.

 

 

N°39) Clara, comme tous le savait, Don Quichotte était un passionné de lectures lisait du soir au matin et du matin au soir des récits de chevalerie qui lui embrumaient la tête. Il lut des années durant, vendit des terres pour acheter des livres, lut encore puis partit en quête d'aventures et de chevalerie.

 

Don Quichotte, Clara l'aimait, parce qu'il y croyait, parce qu'il était de toute son âme dans tout ce qu'il entreprenait, parce qu’il était généreux. Il ne rêvait que de réparer toutes sortes de torts faits aux humbles et pour cela, il s'exposait  à une multitude de périls et recevait en retour mille coups. Clara l'aimait parce qu’il était humble de coeur, naïf comme un enfant, vivant ses rêves, entraînant par fougue son fidèle écuyer Sancho dans mille désastres. Elle aimait leurs histoires de muletiers, de moulins, de grottes, d'enchanteurs. Elle aimait leurs démêlés avec le curé et le barbier, définitivement sages. Elle aimait les étonnants dialogues de Sancho et de sa femme qui disaient l'éternel des couples, elle aimait les récits dans le récits, la palpitante nouvelle du Curieux Malavisé, de cet homme qui voulait éprouver la fidélité de sa femme. Clara aimait les haltes obligées imposées au récits et les nouveaux départs vers des péripéties et des rencontres foisonnantes, hilarantes. Clara s’extasiait devant cet art du dialogue unique. Et toute la reconnaissance de Clara se dirigeait non pas vers Don Quichotte mais vers Cervantès qui avait écrit ce livre si passionnant. Cervantès n'a pas écrit une histoire. IL EST une écriture parfaite, splendide, inégalable. Comme un bon enchanteur il a donné vie, bonté humour, fantaisie, tendresse, immortalité à ses personnages.

 

 Pour Clara, DON QUICHOTTE, avaient été mille pages de bonheur , bonheur qu’elle a renouvelé plusieurs fois.


 

Un jour, Clara avait dit à un ami qu’elle avait beaucoup de chance car elle savait ce qu’elle voulait faire de sa vie. Elle voulait  lire et faire lire les autres. Elle voulait animer des ateliers de lecture, elle voulait écouter les autres lire.  Mais Clara ne voulait pas que ses livres soient là pour masquer son capitale douleur. Clara ne voulait pas étouffer. Elle voulait occuper sa place de lectrice mais sans oublier sa place de vivante emportant dans ses jours tant d’émotions.

 

Flora était maintenant morte et Clara était devenue une femme en retard. Elle avait pris tant de retard sur Flora. Sur les livres si nombreux de Flora que Clara n’avaient pas lus et qui maintenant avaient trouvé abri dans sa maison. Les livres de Flora. La fin de vie de Flora. Les remords de Clara. Sa boulimie de lectures. Clara avait au  moins cinq livre sen cours ! La mort est mon métier de Robert Merle, Destination inconnue de Kressman Taylor, Le journal d’Anaïs Nin, Les Femmes et les silences de l’histoire de Michèle Perrot. Lorsque Clara était aux prises avec cette boulimie déstructurée, c’était mauvais signe, d’angoisse et de dépression. Le capital souffrance revenait à la surface et fructifiait.

 

Clara relisait le journal de Charles Juliet. J’aimerai tant écrire comme lui. Clara a tant aimé  Lambeaux

                                                                       

Charles Juliet P.O.L 1995

 

Dans ce livre, tu racontes l’histoire d’une longue nuit. Mais comme toute nuit, elle se termine. Le jour naît. C’est ce que j’ai tant aimé dans ton livre : quand le jour succède à ta nuit.

Tu as écrit la solitude de ta mère qui a passionnément aimé un homme jeune et beau qui l’aimait aussi. La mort l’a emporté, jeune, très jeune, trop jeune et ta mère l’a pleuré. Tu as écrit un livre Lambeaux pour  les recréer tous deux et ta deuxième mère. Mais pas si vite. Ton livre coule dans la douce lenteur des mots, emprunte les chemins attentifs de ton âme d’enfant, d’adolescent, d’homme. Les chemins de ta blessure.

Après le deuil de l’aimé, après les larmes, ta mère rencontra Antoine, « le père ». L’histoire est simple, ils eurent quatre enfants. Tu étais le quatrième. Tu racontes la solitude de ta mère, ses grossesses rapprochées, son épuisement physique et moral et enfin la folie. Tu racontes tout cela avec amour, respect, avec lenteur. Tu ne racontes plus, tu dénonces et ton écriture se fait cri. Tu lis, tu transmets une thèse celle de l’extermination pratiquée par les allemands dans les hôpitaux psychiatriques lors de la dernière guerre. Tu expliques avec des mots terribles comment la façon la plus simple d’en finir avec les patients étaient de ne plus les nourrir et tu nous dit ainsi que 40 milles personnes étaient ainsi mortes de faim dans les hôpitaux psychiatriques de l’époque.

 

Ton livre, tes lambeaux, ta blessure, celle de ta mère : une agonie terrible, injuste pour une femme dont la seule faute fut sa solitude. Tu fus recueilli par une mère adoptive, si parfaitement bonne pour toi. Tu l’aimas comme une mère, ses cinq filles devinrent tes soeurs et tous t’élevèrent, te choyèrent. Lambeaux c’est aussi ta seconde mère racontée quand la terrible peur de ton enfance céda, celle qui a ravagé tes jeunes années. 

La peur cède avec l’amour de la mère adoptive. Il est en toi, elle est avec toi et accompagne ta vie d’adolescent dans ses tourments et tressaillements, dans Lambeaux, c’est aussi une troisième femme : ta compagne qui partage tes jours et te laisse vivre l’aventure de l’écriture, que tu as choisis après celle de la médecine. Tu étais fais pour les deux mais c’est l’écriture qui l’a emporté. Tu nous livres là une longue histoire d’amour et de jouissance.

 

Lambeaux, une longue nuit intérieure que traversent un femme, un enfant jusqu’à l’homme, un homme qui emporte avec lui l’enfance, un homme orphelin qui aurait pu à force de souffrances et de nuit devenir fou, délinquant, perdu... Tu racontes alors ta chance d’être sorti indemne de la forêt, de ta nuit, de vivre avec ta compagne et de créer, d’inventer dans la lumière de l’écriture. De te recréer. Ton livre est un chant d’espoir et de résilience. Je pense à celui de Boris Cyrulnik « Un merveilleux malheur ». Ta mère adoptive par la force de son amour t’a mené vers l’orée de la forêt , je respire à plein poumons cet oxygène dont tu me fais don.

 

Clara , comme Charles Juliet était peut-être une résiliente. Deux secrets auraient pu ruiner sa vie et malgré  tout comme un coquelicot elle avait poussé dans les ruines de sa mémoire. Clara devait beaucoup à l’alphabet.


Clara tournait les pages lentement d’un livre reçu pour les trente ans de mariage de Clara, Baisers volés (collection autrement). Des jolies photos d’amour accompagnés de textes tendres. Mais le chagrin grondait aux portes de sa vie.

 

Clara lisait Une vie bouleversée d’Etty Hillesum, Fathiah (N°40), Algérie, chronique d’une femme dans la tourmente, Les papiers collés de Perros. Clara lisait dans les trains et pleurait. Sylvie à Paris se mourrait d’un sarcome, Elisabeth à Montpellier se mourrait d’une leucémie. A Paris chez Sylvie, couchée et faible Clara lisait Madame Della Seta aussi est juive de Rosette  Loy, à Montpellier chez Elisabeth, couchée et faible Clara lisait les Récits d’Ellis Island de Perec.  Clara commençait  à lire la douloureuse Alice Miller. Clara ne savait pas encore. De week-end en week-end, de train en train , de livres en livres,  Clara accompagnait Sylvie et Elisabeth.

 

 Ivre de fatigue et de chagrin, je reste des mois, n’écrivant rien d’autre que des poèmes.

 

HIVER

 

            Des quatre saisons je te dirai le nom

            je dessinerai les formes de l'amour

            dans un souffle je te livrerai mon âme

            mon corps et tout son or

            Je te dirai mon printemps

            quand l'espoir se conjugue à tous les temps

            Je te dirai l'été, les champs de blé

            je te dirai l'automne quand les feuilles jaunes tombent

            donnant au temps une belle robe dorée

            je te dirai peau d'âne et le prince charmant

            je te dirai l'amour qui dure toujours.

 

            Mais si je te donne des quatre saisons

            le temps tout rond, tout blond, tout long

            mon hiver, tu le prendras dans tes bras

            mon hiver, tu l'aimeras

            tu m'aimeras

            avec mes yeux cernés, mon corps voûté

            mon regard brouillé si triste

            tu aimeras mon brouillard et ce qui en moi trébuche

            mes inquiétudes absurdes

            mes sentiments comme des icebergs à la dérive

            Tu m'aimeras quand ma fatigue m'habite

            quand le noir me ronge dans le glacial songe

            d'une nuit d'hiver.

 

            Tu m'aimeras passionnément

            malgré les flocons qui enseveliront mon âme

            Tu aimeras mon hiver et ma solitude

            j'aimerai ta solitude et ton hiver

            Ensemble, au chaud,

            nos corps enroulés dans l'hiver

            nous attendrons le printemps

            celui de tous les temps.


Clara se raccrochait aux branches du monde et à ses engagements citoyens. Seule, dans le chagrin de la fin de celles qu’elle aimait, elle sombrait dans son gouffre, celui qui lui disait un de ces  toujours dont elle ne voudrait jamais,  la mort.

 

Clara lisait « En finir avec la guerre contre les pauvres » de Paul Muzard  (N°43). Clara le lisait un jour de 1er mai. C’était un livre difficile d’accès mais Clara en trouvait le sujet immense, plus étendu que Balzac ou Zola, que Proust ou Dostoïevski,  que Freud ou Dolto, que Simone de Beauvoir ou Hannah Arendt, plus étendu que Karl Marx, plus encore que de Lénine ou de Gandhi. La bibliothèque entière de Clara pourrait s’y engouffrer. C’était un livre pensait Clara en le lisant qui dénonçait de façon, rigoureuse, exigeante, lucide, le racisme et les guerres qui ont griffé jusqu’au sang les mots Liberté, Egalité, Fraternité. Clara tournait les pages au rythme trop rapide des guerres et des révoltes, au rythmes des horreurs et des injustices de l’histoire. Elle se laissait prendre toute entière par ce texte si dense d’une souffrance universelle et presque intemporelle. Elle était happée par cette écriture qui réinventait les combats, leurs dates, leurs lieux. Elle retrouvait la citoyenneté de sa vie, son militantisme pour une humanité à inventer, elle retrouvait la ferveur de ses vingt ans quand dans les manifestations République/Bastille elle chantait avec la foule l’Internationale. Un jour de 1er mai, comme ce jour de sa  lecture.

 

Clara savait que la question n’était pas de broyer du noir, de savoir si l’Histoire humaine était ou non du pur désespoir, elle savait une seule et unique chose, le repère de son quotidien, c’était qu’il fallait accueillir la Mémoire de l’Histoire pour toujours combattre, pour toujours clamer le NON au racisme et aux guerres meurtrières. Clara savait cela et le saurait jusqu’à sa mort. Clara était une militante dans ses livres et dans rencontres

 

Mon engagement est celui de Clara. Aussi intense, aussi fidèle. Un engagement qui ne renonce pas.

 

Clara lisait L’humanitaire expliqué aux enfants de Jacky Mamou (N°44).Jacky Mamou est pédiatre. Il a été Président de l'association Médecins du Monde de 1996 à 2000.

 

Clara lisait d’une traite l'exode  des kurdes ; le génocide des rwandais, le choléra au Zaïre, l’action humanitaire, des hommes et des femmes qui refusent de se taire qui soignent les blessures des corps et des âmes, qui jour après jour travaillent, soignent, témoignent d’une possible solidarité. En tournant les pages se souvenait d’Henri Dunant  et découvraient les French Doctors, les Médecins du monde et les médecins sans frontières. Elle les suivait dans leurs actions et les admiraient pour leur persévérance à être responsables d’eux-mêmes et des autres. Elle pleurait sur la Somalie, la Turquie, sur leurs enfants affamés ou morts, elle soulignait les actions des conventions de Genève quand le nom à l’horreur, à la peur s’élève, quand la dignité s’exprimai et se clamait ailleurs que dans l’urgence, quand tout se tentait dans une possible action humanitaire limitée certes dans ses effets mais existante malgré tout. Dans les jours et les nuits d’un combat complexe ; Clara lirait jusqu’à extinction de son regard la détresse des enfants africains et chercherait jusqu’à épuisement les solutions existantes grâce à ceux qui s’étaient lancés dans l’aventure humanitaire.

 

Clara lisait encore la souffrance des  Tziganes et des Tchétchènes, des Maliens  et se souvenait que ROM veut dire « être humain ».

 

Clara cherchait le possible dans cet impossible de la misère et de l’horreur.

 

Clara lisait, lisait et les pages qu’elle tournait l’emportaient vers la vie, dessinait les contours de son quotidien de femme engagée qui exprimait la nécessité de Clara.

 

Clara lisait Une enfance outre-mer de Leïla SEBBAR (N°45) Textes réunis par Leïla Sebbar Editions du Seuil, mai 2001. Points Virgule

 

 

 Clara lisait ces seize écrivains, venus d'ailleurs, venus d'Outre mer et s’attardait sur la table des matières qui à elle seule délivrait le foisonnement du livre. Hélé Béji, Maïssa Bey, Roland Brival, Guy Cabort-Masson ; Aziz Chouaki, Emmanuel Dongala, Kossi Eefoui, Patrick Erouad-Siad, Marie-Thérèse Humbert, Yannick Lahens, Fouad Laroui,Gisèle Pineau, Raharimanana, Leïla Sebbar, Véronique Tadjo, Abdourahman

 

Clara  considérait ce recueil comme un précieux coffre plein d'une riche littérature interculturelle. Chaque espace de ce recueil était un texte d'enfance,  chacun d'entre eux, l'occasion d'un rappel des publications de chaque auteur.  Clara aimait lire  la concision, la précision de chacun des récits qui disait l’enfance de tous dans leur pays d'odeurs et de saveurs, de mythes divers, quand le père est absent, quand la mère est de couleur ou bien européenne, mais toujours enveloppante ; tous ces auteurs racontaient à leur façon, leur enfance,  bigarrée (Leïla Sebbar), stupéfiée de Maissa Bey (C'est quoi un arabe ?), considérée d'Emmanuel Dongala (L'enfance de l'instituteur).  En filigrane, Clara  pressentait la guerre, la paix, le savoir, la connaissance, la culture de Platon à Rousseau, en français et en arabe, en africain. Elle voyageait d'Alger à Port-Louis, en France aussi. En tous lieux les garçons jouent au foot, ici et là ça sent le laurier, les roses, le jasmin. Là encore le thé est parfumé à la cardamone.

 

Des textes qui faisait voyager Clara du Val de Marne à la Martinique, de Madagascar à Paris, en Banlieue et en Province dans le temps d’une vraie recherche interculturelle, une écriture tendue vers la paix et une possible interrogation sur les mouvements de la création, sur le germe de chaque écriture. Celui qui s'origine dans l'enfant. Clara de son enfance avait appris la fragilité d’un enfant, sa fragilité.  Ce livre est parfois difficile par sa multitude en germe, alors, Clara le saisissait avec les mots " langue ", " pays ", " identité   " culture " , " paix " et surtout le mot respect. puis le laisse fleurir comme un bouquet d'enfances et de talents, comme un bouquet de possibles espérances. Les siennes, femme citoyenne du monde.

 

 

Clara continuait de lire avec le terrible sentiment de creuser sa différence aux autres, sa solitude. Clara lisait beaucoup trop pour partager avec d’autres la somme des pages tournées, la somme des mots lus qui venaient là à  la place des mots de Flora, des mots sans tendresse, des mots sans caresse. Clara dans la douleur de Flora,  Flora maintenant morte, qui l’avait laissée définitivement seule avec des pages d’encre, définitivement seule sur la plage ventée. Restait le tilleul de Clara. Son jardin. Sa maison. Restait sa famille. Restent Sylvie et Elisabeth si malades. Restaient l’angoisse de leur mort.  Alors Clara lisait tandis que j’écrivais.

 

Clara lisait la correspondance de Kafka avec son père et pensait que cette relation était aussi douloureuse pour lui que la sienne avec Flora . Clara pensait que pour tous les relations avec les parents étaient un kyste de douleur. Certains se faisaient opérer et l’opération réussissait d’autres comme elle en restait blessée à vie

 

Clara dans sa multitude de livres voudrait lire son passé, celui qu'on ne lui avait jamais dit, celui qu’elle n’avait jamais dit  et enfin, tourner la page.


Son passé, puzzle de son enfance était un silence.  Clara était la belle endormie et chaque auteur comme un prince la  réveillait d'un baiser, d’une caresse  (lire c’était caresser disait Marc-Alain Ouaknin. Il ne le disait pas comme cela. Il le disait avec ses mots ; il avait écrit le livre L’éloge de la caresse que Clara avait beaucoup aimé.  Chaque phrase lui soufflait : « tu existes et dans l'interligne et dans la marge, tu existes dans les pages de tous et par les pages de chacun,  lire, c'était pour elle, exister. Dans un livre, elle se délinéait enfant, dans un autre, adolescente, dans un autre encore elle était la femme qui s'étirait, la mère de famille ou l’épouse, l’amie ou la soeur. Elle se perdait ou se retrouvait auprès de chaque auteur. Chaque livre l’enfantait, l’enchantait et la révélait. Chaque livre l'arrachait à sa solitude. Viens lui disait-il, je suis là, tu es là, avance...  Elle tournait les pages et de points en virgules, elle avançait, se reconnaissait, parfois, douloureusement mais si intensément. Lire n'était pas un acte passif, Clara le savait... Chaque lecture la constituait, la  reconstituait, l’inventait. Clara lisait pour ne pas mourir. Elle en avait tant vécu des instants de sang, des instants blancs, des instants de glace, des instants coupables, des instants de solitude qu’elle portait en elle la mort tant et tant. Alors, il lui fallait lire, lire, lire... C’était la toute nécessité de sa vie.

 

J’aimerai devenir écrivaine et mettre en mots toutes les pensées de Clara sur la vie, sur sa mort, sur l’art, la politique, la littérature. J’aimerai tenir un long journal comme Anaïs Nin ou Charles Juliet , écrire mon autobiographie comme Simone de Beauvoir, j’aimerai voyager et raconter mes voyages comme Philippe Bouvier ou Philippe Sollers que Clara lisait en ce moment.


Chemin lisant, Clara cheminait

 

Elle ouvrit alors l’énorme livre de Philippe Sollers Eloge de l’infini constitué d’essais  que Clara trouvait splendidement écrits.

 

Clara lisait le premier essai : Le Paradis de Cézanne.

 

Là où Cézanne mettait des couleurs Clara mettait des mots... La colère de Cézanne. La colère de Clara... Clara lisait. Clara transposait. Clara pillait... Clara restituait... Clara dans le temps de ses mots fuyait les autres puis les retrouvait, se fuyait elle, puis se retrouvait. Clara fuguait, Clara lisait jusqu’à en perdre le souffle. Clara à bout de souffle retenait son souffle. Clara comme Cézanne vivait à l’ombre de son tilleul, dans le temps de son être et de son tilleul.

 

Clara lisait ce texte doux comme le mot Venise et chemin lisant, elle avait envie d'aller à Venise dans cette ville dont le temps s’échappait des gondoles, peut-être passé mais tellement futur d’amours à éclore...

 

Clara  toute à sa lecture pensait à Calvino, à ses Villes Invisibles, de mémoire et de regards, d'eau et de temps. Clara aimait cette façon qu’avait Philippe Sollers d’écrire, elle aimait ses expressions venues de son ailleurs à lui, de sa ville invisible de lecteur, elle aimait le lire quand il racontait Proust et Ruskin, Monet aussi.  A nouveau Proust, encore, toujours Proust… Clara se laissait emporter par ce style flamboyant qui lui restituait Venise.  Clara empruntait les pas de Sollers foulait son chemin tellement lettré. , elle continuait, se laissait éclaboussée par la lumière de Venise, par ces mots précieux, raffinés, brillants, intelligents. Elle ne savait pas ce qui l’enthousiasmait le plus du  texte ou de la ville, cette Venise autre que celle qu’elle n’avait jamais pu imaginer. Une autre Venise, c’est ainsi que Philippe Sollers  avait intitulé son essai. La lecture de Clara se faisait canal ou lagune. Le cœur battant de trop rêver, elle  tournait les pages, glissant sur l’eau ; elle tenait le pari de Sollers, elle était  là tout entière dans le texte et dans la ville. Elle était là, lectrice de toujours pour toujours... Un jour, Clara irait à Venise et serait heureuse parmi les lauriers fleuris. Elle serait heureuse dans la lumière de Venise et sa solitude s’envolerait enfin dans le temps des moineaux. Elle choisirait son quartier, le visiterait en gondole et glisserait dans le silence. Elle connaîtrait l’étreinte de Venise

 

Puis, à son retour, elle feuilletterait enfin ce magnifique Vivre Venise recueil de photos, un cadeau qui l’attendait dans sa bibliothèque depuis vingt ans déjà, préfacé par Claude ROY . Textes de Dominique Fernandez. Editions Mengès. …

 

Et puis aussi,  Clara irait un jour à Florence. Là aussi il y avait des moineaux et là aussi sa solitude s’envolerait.

 

 Clara savait tout cela et dans la lumière de sa ville souriait.

 

 Certes, c’était l’hiver mais un jour, le printemps viendrait, et les moineaux s’envoleraient.

 

Clara lisait encore : La lecture et sa voix, histoire d’un mot, histoire de ténèbres, histoire de la littérature de la force de l’acte d’écrire porté par sa voix. Ecrire, quand la liberté dérange. Décidément, Clara aimait l’écriture libre de Sollers

 

Lire au jour le jour, cet Eloge de l’infini qui emportait Clara dans le plaisir de penser.


Lire et penser était pour Clara donner sens à son histoire. C’était construire sa mémoire. La mémoire de son histoire. Clara avait vécu toute son enfance avec cette histoire là de La Shoah non dite. Flora refusait de parler de cela. La Shoah, c’était la culpabilité de Flora qui avait demandé à Fortunée  de se cacher. Fortuné avait refusé « elle n’avait rien fait de mal » disait- elle. Flora s’était cachée avec son amant. Elle avait été sauvée. Fortunée non. Elle avait été prise dans la rafle du 22 janvier 1943 à Marseille organisée par la police française. Elle avait été conduite à Drancy puis le printemps venue dirigée sur Sobibor où elle n’était jamais arrivée. Cette histoire là, c’était la sombre histoire de Clara qui l’avait menée au bout de son identité, de sa détresse, de sa solitude. Pourtant comme Flora, « elle n’avait rien fait ». Le trauma de la Shoah se transmettait de génération en génération. L’innocence, la culpabilité, la souffrance. Clara dans les livres cherchait Drancy, cherchait la Shoah pour ne plus subir, pour vivre dans son histoire. Pour être et transmettre du trauma symbolisé et donc humain. Voilà pourquoi Clara lisait tant creusant le génocide.


Au départ de son histoire, la ville de Drancy. Ainsi, elle lut le livre de Maurice Rajfus, ainsi j’écrivis pour Empan. (N°66)

 

 

DRANCY

Un camp de concentration

 très ordinaire

MAURICE RAJSFUS

Le cherche Midi Editeur

Document J’ai lu N° 6002 (399 pages)

 

Un vendredi de février, je suis allée voir ma grand-mère au Mémorial de la Shoah, 17, rue Geoffroy L’Asnier 75 0004 Paris. Tél. 01 42 77 44 72  -Fax 01 48 87 12 5O Métro Saint Paul. Là mon regard s’est longuement posé sur le mur 1943 ; j’ai pensé à elle que je n’ai jamais connue et une larme noire a coulé. J’ai lu d’autres noms de mes amis et un lien invisible mais ténu m’a réuni à eux. Devant tous, je me suis recueillie avec tendresse, amour, respect, dans l’infini de moi-même.

Puis, dans l’enceinte du Mémorial, je me suis rendue au musée. Immensément déchirant. Des photos, des documents, des archives, des listes, des lettres, des témoignages, des paroles, des récits, des souvenirs. Rien que de la mémoire. J’ai traversé très vite les salles que j’ai frôlées bien plus qu’habitées ; ça me reprenait le vertige de vivre qui parfois me plaque au sol. Mais je n’ai pas été assez vite et j’ai vu au centre d’une pièce un appareil qui servait à broyer les derniers restes des incinérés. Alors là, j’ai remonté les escaliers quatre à quatre, tout doucement avec l’angoisse de ne pas trouver la sortie. Mais parfaitement lucide, je l’ai trouvée et je suis allée au centre de documentation juive contemporaine. Là, il est possible de demander des fiches de nos disparus. Terrible victoire sur les nazis. Ils voulaient tout effacer. Ils ont perdu. Des milliers de fiches d’identité en témoignent. Des lettres sur un mur, des mots sur une feuille de papier. Il est possible alors de continuer. J’ai continué et je me suis rendue à la librairie. Là, tous ont écrit pour dire la mémoire des souvenirs. Les mots ont lutté par le talent contre la volonté génocidaire. Lutté et triomphé.

 

J’ai acheté les livres suivants :

 

- Auschwitz et après I Aucun de nous ne reviendra.

- Auschwitz et après II Une connaissance inutile

- Auschwitz et après III  Mesure de nos jours.

Ces trois tomes de Charlotte Delbo sont publiés aux éditions de minuit

- Qu’est-ce que la philosophie de l’existence ? suivi de L’existentialisme français. D’Hannah Arendt. Préface de Marc de Launay. Rivage/poche / Petite bibliothèque

- La nuit d’Elie Wiesel Editions de Minuit (poche)

- Imre Kertesz  Le chercheur de traces Actes sud J.Bashevis Singer L’esclave chez Stock

 

Et enfin, sur une table une pile de livres identiques. J’en ai acheté un :

 

- DRANCYUn camp de concentration très ordinaire MAURICE RAJSFUS

 

J’ai lu ce livre très vite, en deux ou trois fois je crois tant il était déjà écrit en moi. C’était un écho à ma mémoire inconsciente que j’ai déjà tellement travaillée, explorée. Je l’ai ouvert et j’ai pensé que je me rendais dans l’avant dernière demeure de ma grand-mère. Je voulais connaître, les escaliers, les blocs, l’encadrement, les Autorités Allemandes, les gendarmes, la police, je voulais lire les souvenirs, les témoignages, les entretiens, l’organisation des déportations, des convois, le travail de la Préfecture. Je voulais lire la première année et la dernière, les enfants... Ce livre est écrit en petits caractères et mes lunettes suffisaient à peine à prendre la mesure de ce que fut Drancy, camp de concentration très ordinaire. J’ai lu ce livre comme si je payais une dette, celle de ma mère survivante et maintenant morte.. Ils ont tant souffert ces détenus de Drancy, je me devais de les connaître pour continuer humaine et debout, comme ça, sans déni. C’est le prix de la vraie sérénité, de la vraie dignité que d’exister,  c’est le prix du vrai possible des luttes, toujours, encore, maintenant contre la xénophobie, le racisme, la bêtise, « c’est leur culture », « il est juif il doit avoir de l’argent. » Bagneux 2006. Manifestation silencieuse contre l’horreur de tout ça... Continuer avec ces manifestants dans le bruit des jours contre le néant de la barbarie. Hier, maintenant, demain. Lutter debout. Connaître, reconnaître Drancy.  A tous leur dignité a été retirée, je veux lire, savoir et par ma mémoire leur restaurer. Notre mémoire est le seul espoir de faire perdre Vichy. Faire retrouver le temps à tous ceux là qui ont été déportés. J’ai lu ce livre dans le flot de mes affects bien au de-là des larmes ; mes larmes étaient captives du camp, mon regard qui parcourait les lignes était un long et silencieux sanglot. C’était serré, prégnant, poignant. Une lecture comme une longue étreinte que seule l’écriture de ces lignes peut desserrer... Le souvenir n’en finit pas de s’enfermer pour ne pas se dire, la mémoire de se taire malgré les archives. Je ne sais si son livre y parvient mais c’est un prodige d’archives qui dit ses sources et qui de ce fait confère à ce récit une portée historique. Il est toujours possible, à qui le veut, de contester certains faits, certains dialogues. C’est la noblesse de l’Histoire quand elle se fait récit humain, récit faillible à toujours réinventer mais moi, la non historienne, la lectrice quotidienne, j’ai la certitude que l’essentiel est écrit. Il y a deux passés, deux Histoires, deux France : celle des fanfares et celle du silence. C’est vrai il y a eu la France de la résistance mais c’est vrai aussi il y a celle des « missions ignobles de la police française. »

 

Dans mon histoire de femme, dans ma mémoire inconsciente devenue enfin consciente grâce à ma psychanalyse et à mes lectures, existent les deux Frances et parfois en moi, ça fait désordre : celle de mon oncle Roger fusillé à 20 ans par les Allemands et celle de ma grand-mère Fortuné arrêtée dans une rafle. On connaît la suite : Drancy. On connaît la fin : Auschwitz. Et puis les survivants de tout cela, les générations suivantes. Je ne raconte pas mais l’Histoire n’en finit pas de pulvériser les vies et l’espoir. Heureusement il y a les livres, les archives. Alors les fanfares et les grandes déclarations, ça le met en colère Maurice Rajsfus et les dents serrés dans une implacable méthodologie, il écrit, il raconte, alors moi aussi en colère que lui, dans une implacable méthodologie, je lis ligne après ligne sans en sauter aucune.

 

Je vous laisse découvrir seul (e) ce livre. C’est un long cheminement intérieur que celui d’accepter l’Histoire quand elle se fait Horreur. Et pour chacun d’entre nous il y a un temps pour cela et je respecte votre temps en me taisant

 

Merci monsieur Maurice Rajfus pour votre travail d’écriture d’une mémoire qui fait écho à la mienne, merci pour vos archives qui font écho aux miennes, merci pour votre combat qui fait écho au mien. D’échos en échos, de résonances en résonances nous avançons dans la dure réalité humaine.

Merci.


  

 

Puis Clara avait lu Anne lise Stern, Primo Lévi, Myriam Anissimov, Jorfge Semprun,Robert Antelme, Imre Kertez, Jean Amery, Hannah Arendt,  Etty Hillesum,  Anne Frank, Aaron Appelfeld, William Styron, Hélène Berre, Irène Némirovsky, Pierre Vidal-Naquet ; David Rousset, Edgar Morin , Jacques Hassoun et Cécile Wajbrot, David Grossmann. Clara lisait, lisait, j’écrivais, j’écrivais et toutes deux sans cesse, nous oublions, nous refoulions.


La Shoah, c’était du pur oubli, toujours là qui étreignait et plongeait dans l’impossible humain, dans l’impossible mémoire. Clara lisait tous les auteurs de ses rayons « Shoah » et s’étonnait de la façon dont chacun avait de se souvenir. Aucun des livres ne se confiait de la même façon. Mais –tous inventaient l’Histoire, l’histoire de Clara. Clara connaissait chacune de ses lectures dans le plus profond de son obscurité de femme. Elle avait lu en silence, transgressant après la mort de Flora le tabou d’une vie de déni. Flora avait toujours refusé de parler de La Shoah, qui était maintenant  au coeur de la vie de Clara, qui était devenue sa sombre métonymie dans un alphabet qu’elle s’était mise à épeler dans le  temps du livre de David *Grossman Voir ci-dessous : amour

(Editions du seuil Point poche P152.  Clara épelait, j’écrivais :

 

DAVID GROSSMAN

Voir ci-dessous : amour

Editions du seuil

Point poche P152

 

Une histoire qui me raconte dans un alphabet qui m’épelle.

 

A.     Amour. Auschwitz. Ame. L’amour est-il possible après Auschwitz ? Il faudrait décortiquer l’homme jusqu’au ion zéro pour découvrir ce qu’aurait pu être le mot amour avant Auschwitz, avant qu’il ne soit synonyme d’angoisse et de douleur. Auschwitz (voir I d’Indicible, d’Impossible représentation d’Auschwitz,  H d’Horreur,  S de Shéréhazade) A.  Assassin (voir  N. Neugel)

B.      Bébé. Kazik, fils de Fried et de Paula (soixante dix ans). Il dit « pa-pa » et Fried en pleure. Kazik sourit d’abord avec son coude puis avec le genou et enfin le sourire se place avec les dents .B. Bête nazie combattue par Momik, en solitaire. Il veut devenir écrivain et raconter Bruno Schulz. Il y parviendra magistralement dans le temps de la longue métaphore de la seconde partie (Voir M : Mer et S . Saumons,)

C.     Cri de Munch qui traverse le roman comme le hasard de la douleur. (Voir D . Désespoir.) C. Citrine Hannah. Elle pleure toutes les nuits, dans la rue, toute nue.

D.     Désespoir de Munch dans le hasard d’un cri. Don de David Grossman pour écrire la déshumanisation des bourreaux et des victimes. (Voir M. : Métaphore) D. récit parfois Daté : 1943

E.     Enfer. Ecriture d’Auschwitz  (voir M de métaphore intemporelle, éternité, écume et R de réel daté). Encyclopédie de l’Holocauste  (voir Grossman) E. La disparition. Perec.( Voir L)

F.     Fiction. Auschtwitz n’est pas une fiction.  «  Les enfants au coeur vaillant » en est une. (Voir Anschel Wasserman).

G.    Grandir comme Kazik en vingt-quatre heures. G : Ghetto. Tout le monde sait ce que sait  (Voir P.Pologne) G. Grossman  écrit une encyclopédie de l’Holocauste)

H.      Hitler et rien d’autre. Pas même Hiatus, pas même Humanité, pas même Histoire d’Anschel Wasserman

I.  Impossible représentation de l’Indicible camp de concentration Auschtwitz (voir M de Mer Intemporelle et M de Momik).  I. Indicible (voir T de Torture et W de Wagons.). I. d’Interrogations sur l’art et sur l’Holocauste.

J.Juif. Voir Shoah. Mémoire de la Shoah. Hors-série du Nouvel Observateur

K.     Kapo. Tout le monde connaît

L.      Lettre manquante pour L’être manquant (Voir Disparition de Perec. E)

M.     M de Monstre (voir Neigel)  Métaphore : M la mer. Déshumanisation des victimes (voir S : saumons). Déshumanisation des bourreaux : M de Momik.  M. style Merveilleux de la deuxième partie du roman (voir R. Roman). M ; Munch (voir Peintre)

N.      Neigel (Voir A. Assassin, M. Monstre.) Nuances impossibles.

O.     Otto, chef des enfants au coeur vaillant. On parle souvent de lui. O de Onanisme : « se toucher en bas » dit Kazik

P.     Peintre (Voir Munch. Le Cri et Mélancholy, couverture du livre). P. Peur. (voir écrivain  Untel Citation p.158 : « Je t’ai parlé de la peur. Et de ce grand-père, que je n’arrive pas à faire revivre, pas même dans une histoire. Et aussi de mon incapacité à comprendre ma propre vie tant que je ne saurais rien de ma-vie-non-vécue Là-Bas. » ; P. Pologne (voir G. Ghetto)

 Q    Question « trop peur pour poser des questions » Questionnement de l’art,       de l’écriture, de l’Holocauste. Citation p.408 : « Le stylo a été planté et  écrasé sur la table comme pour réveiller quelqu’un qui se serait trouvé en dessous, de l’autre côté. Finalement, l’encre a coulé »

R   Roman de Grossman Voir ci-Dessous : Amour. A lire un jour d’indicible.

S  Style fabuleux. S. Schulz (Bruno). Grand écrivain juif abattu pendant la guerre par un nazi. J’ai envie de le lire. Un jour. Je veux d’abord lire « La paix différée »  de David Grossman. Seuil

T   Torture (voir I indicible). T : Temps. Citation p.610 »Mais quand Fried s’est penché et l’a embrassé (l’enfant), il a vu que de la profonde blessure de la plante du pied s’écoulaient non pas du sang mais des flocons transparents qui s’envolaient et qui n’étaient faits ni d’eau ni d’air, mais d’une sorte de sciure très légère, qui se déversait du corps au rythme des battements du coeur et se dispersait et s’évanouissait immédiatement dans l’espace-Fried a su, sans le moindre doute possible, qu’il s’agissait du temps. »

U     Ecrivain Untel. Grossman, Neuman, toi, moi. (voir P. Peur)

V   Vague. Vaguelette (Voir M Métaphore, Mer). V. « J’aime vivre » à remplacer par « j’aime les harengs et les oignons »(Anschel Wasserman)

V. Vérité comme une morsure.

W. Wagons (Voir I. Indicible). W. Wasserman, auteur de « les enfants au coeur Vaillant »

X      En panne

Y      Yanouka (gosse, bambin)

Z    Zalmanson, ami du grand-père. Z. Zoo. Un des lieux de l’histoire du grand-père, Anschel Wasserman.

 

Voir-ci-dessous : Amour.  Un alphabet. à apprendre  quand le temps sera venu.

 

Clara mémorisait une liste, une liste à la manière de Georges Perec qui les avait vu fait sa lecture. Une liste logée au coeur de la vie de Clara : Auschwitz Birkenau, Ravenbruck, Buchenwald, Treblinka, Dachau, Oranienburg, Mauthausen; Belzac,, Sobibor, Lublin, Chelmuno,  Bergen-Belsen, Neudorf, Dora-Laura-Ellritch, Flossenburg, Neu Bremon, Neuengamme, Sachsenhaussen, Grosss-Rosen, Stutthof, Theresienstadt, Hinzert et en France, dans les Vosges : Natzwiller disparaître ses parents et qui en avait fait son écriture comme Clara en avait Struthof.

 

Mais l’amie de Clara, la plus présente, celle qu’elle n’oubliait pas, celle qu’elle lisait et relisait, c’était. Charlotte Delbo Auschwitz et après (Les éditions de Minuit (1970, 1971). Elle avait lu aussi Et Spectres, mes compagnons Berg international Editeurs 1995). Clara connaissait par coeur le poème de Charlotte « Prière aux vivants ». Alors Clara avait appris une danse qui la justifiait, qui lui donnait le droit d’exister, le droit de survivre à tous ceux là qui étaient morts déportés, à tous ceux là qui n’étaient pas revenus. Elle avait appris une danse qui lui donnait le droit d’exister dans l’absence de sa grand-mère morte d’épuisement dans un train qui se rendait à Sobibor. Clara avait appris à lire son cri dans celui des autres. Elle avait appris à lire sa désespérance dans l’espérance des autres. Clara lisait et donnait du poids à ses mots dans les mots des auteurs, des écrivains. Elle inscrivait sa mémoire, son espoir, son engagement pluriel dans leurs mots. Clara lisait marquait de l’oubli sa vie grâce à eux ses écrivains préférés. Par eux, elle donnait du prix à sa vie, du sens à son existence. De la poésie, de l’imagination, de la lumière. De l’éternel. Clara avait soif d’éternité et la lecture lui en procurait. Elle lisait, se frôlait, se trouvait, se perdait puis se retrouvait Elle lisait tant et tant, les aimait tant et tant ces écrivains qui dessinaient sa vie, la créaient femme. Ils étaient devenus sa parenté, sa famille, ses amis, , son temps oblique. Ils étaient devenus elle.

 

Clara avait appris une danse, sa danse. Elle avait appris à partager ses lectures. Elle prenait des notes. Beaucoup de notes, parlait des auteurs qu’elle aimait, jamais de ceux qu’elle n’aimait pas. Avec ses amis, elle partageait l’amour, le reste elle le taisait. Avec eux, elle partageait ses engagements et ses luttes. Clara était une femme de lecture mais Clara était une citoyenne. Clara lisait, Clara cherchait, interrogeait le monde.  Et dans le temps du partage elle avait crée des ateliers de lectures dans le cristal d’une mémoire qui se multipliait et s’élançait d’être en être dans le mouvement de tous et de chacun quand le temps et l’oubli se creusaient, quand la fantaisie souriait partout à la vie, quand le sens partagé les éclaboussait tous, quand l’éternel s’ajoutait à l’éternel, quand l’éternité n’en finissait plus d’être éternité, quand la lecture n’en finissait pas d’être conviviale, quand les silences étaient ceux de l’âme et les mots ceux du corps, quand il était possible de dire non au totalitarisme celui qui nous veut tous pareils et nous interdit de penser ce que nous faisons,  celui qui avait mené Charlotte Delbo à Auschwitz

 

Clara avait lu Charlotte Delbo mot à mot, elle avait lu pour retrouver sa mémoire et la sienne, ses souvenirs et les siens, ceux qu’elle n’avait jamais vécus. Ceux de l’innommable,  ceux des camps qui interdisaient à toujours le printemps de l’humain.

Clara avait  tourné les pages de Charlotte et s’en était trouvée à tout jamais changée. Clara abritait  Charlotte Delbo dans son éternité de femme. Les mots avaient fait sanglot. Les mots avaient fait partage. Les mots avaient fait mémoire. Mémoire de femmes. Le récit de Charlotte Delbo, Clara en était convaincue étaient une histoire de femmes et de compagnes d’épreuves. Pendant la déportation. Après la déportation. Quand elles se retrouvaient vivantes, survivantes. Clara avait suivi les larmes aux yeux les confidences de ces femmes ; Elle était devenue « elles » et à toutes demandaient pardon d’être si stupidement « elle », d’être si stupidement vivante et parfumée. Elle leur demandait pardon parce que sa lutte au jour le jour contre le racisme, le fascisme, la guerre, le fanatisme, les totalitarismes, les génocides de partout et partout, elle le savait, était terriblement insuffisante, écrivant un permanent « peut mieux faire. », « peut mieux dire, », « peut mieux lire »


 

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