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16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 02:04

F. Robert Rodman

Winnicott, sa vie, son oeuvre

Erès 2008

538 Pages

 

 

J’ai trouvé ce livre très difficile à lire.

 

Je prie les grands spécialistes de Winnicott de m’excuser pour mes contre sens éventuels. J’avance dans le savoir en autodidacte appliquée mais non universitaire (ou cela remonte à si loin que je n’ose m’en réclamer).

 

Je veux dire aussi que ce livre s’est présenté à moi avec des grandes plages d’obscurité mais aussi avec des grandes plages de lumière qui ont fait sens sur mon intelligence de fourmi laborieuse.

 

Il me faut signifier une fois encore que c’est du lieu de cette intelligence mais aussi de mon histoire affective que j’ai lu ce livre.

 

Il me faut mentionner que la lecture de ce livre s’est effectuée consciencieusement, crayon en main, chapitre par chapitre et que chaque tranche de lecture était ponctuée par un court et profond sommeil régressif, j’en suis certaine parce qu’elle me renvoyait au bébé que je fus. C’est le propre de Winnicott d’interpeller la plus petite poupée russe que nous sommes, logée dans l’adulte poupée gigogne dont j’ai parlé tant de fois.

 

Quelles sont dont les aventures de cette minuscule poupée qu’interpelle Winnicott via Rodman ? Les aventures de cette poupée nous sont contées dans le fil même de la vie de Winnicott. C’est une poupée de chair et de sons née de son auteur psychanalyste. L’homme qui écoutait les bébés est né en 1890 à Plymouth, est mort à Londres 1971. Il fut poète, scientifique, pédiatre, psychanalyste. Il fut passionné toute sa vie par sa recherche et mourut au travail. Son apport fut immense, critiqué ou non, il laissa une oeuvre achevée dont nous pouvons nous emparer, à condition de le faire avec respect. Ce  que j’ai tenté.

 

Je ne raconterai pas ce livre si difficile par l’enchevêtrement exigeant de l’inventeur que Winnicott fut et de sa vie, du psychanalyste toujours sur la brèche en relation avec toutes celles là tout autant passionnées que lui Anna Freud,  Mélanie Klein, Joan Rivière, Hannah Segal et d’autres encore. C’est de leurs rencontres avec elles, de leurs correspondances, de leurs travaux, de leurs quêtes enfin qu’est née la passionnante élaboration, si spécifique, ne ressemblant à aucune  autre de Winnicott. Une élaboration à partir de celle Freud et de celles toutes, précédemment citées, mais une élaboration pleinement singulière, s’originant dans sa vie, dans son histoire, dans son histoire d’enfance et d’adulte. Comme pour tout chercheur d’ailleurs ; ce qu’a su montrer Rodman avec érudition et un talent d’archiviste qu’on ne peut lui dénier même si parfois me semble-t- il toutes ses archives sans concessions nous perdent un peu, voire même nous embrouillent... C’est la règle du jeu de toute biographie et une fois encore tentons là malgré les imperfections du genre.

 

Notre petite poupée donc, le bébé que nous fûmes. Un bébé, ses parents. La maman, surtout. La place du père oui. Mais il faut être patient, c’est l’objet des recherches bien avancées dans la vie de Winnicott. Le père reste longtemps exclu du travail de Winnicott.

 

Notons aussi l’importance des dessins, des squiggles de Winnicott venant là pour dire l’incomplétude de ses mots si vifs, si intenses, débordant de sens. En dire toujours plus avec les dessins enfantins, les siens.

 

Le bébé, la maman ne font qu’un au début de la vie. Winnicott va s’interroger toute sa vie sur la question suivante : L’enfant existe-t-il et comment avant sa première relation d’objet ? Quelle va être  la place des premières pulsions agressives, destructrices ? Quels vont être le rôle de ces dernières  dans la constitution de la réalité. Est-ce la réalité limitant l’appropriation de l’objet  (le sein de la mère, la mère) et de la toute puissance de l’enfant qui va engendrer sa destructivité ou au contraire est-ce par sa destructivité pulsionnelle qu’il va mettre à l’épreuve la réalité qui, si elle résiste, se constituera alors. Bien évidemment poser cette question c’est poser la question du transfert et de la place de l’analyste dans la cure analytique qui, autorisant la destruction mais y résistant permet au sujet de re-trouver la réalité et de se reconstruire. C’est cette pulsion que j’appellerai pulsion « Janus », pulsion à deux têtes que Winnicott nomme « « Amour /dissension » qui constitue le possible « être » du bébé et son possible « faire ». J’ai beaucoup aimé le chapitre où Rodman nous explique les théories de Winnicott sur les modes existentiels de l’humain, du bébé, de la petite poupée : mode féminin de « l’être » et mode masculin «  du faire » et cela m’a paru un approfondissement au concept de la bisexualité développé par Freud avec bien sûr de nombreuses conséquences passionnantes dans l’élaboration du transfert mais aussi du contre-transfert. Il ne s’agit pas de parler d’homosexualité là où il y a partie constitutive de l’homme. L’analyste doit entendre et répondre à cette partie constitutive qu’il entend et ainsi permettre à l’analysant de retrouver son unité perdue par le clivage non reconnu par l’autre. Lorsqu’il sera reconnu par l’autre, alors seulement il pourra l’abandonner.

 

Janus à deux têtes encore avec  les études approfondies du self, (différent de la notion du MOI) quand il se fait, vrai self (cette partie de compromis pulsionnel qui s’autorise à ne pas communiquer avec l’environnement, faux self  (cette partie qui toujours communique, abandonnant la charge pulsionnelle). Un chapitre passionnant, complexe indispensable à la connaissance des théories de  Winnicott.

 

Indispensables aussi les notions d’aires intermédiaires  quand le bébé construit, re-trouve l’objet qui échappe à sa toute-puissance. Là s’engouffrent les notions de doudou, de culture et je pense intensément aux expériences de la mise en place de la lecture et de l’écriture.

 

Je m’interroge, je fais une lecture personnelle de ce chapitre sur l’aire intermédiaire qui n’engage que moi :

 

- Si la lecture était une possible scène pour re-trouver le livre (on perd le livre quand on se l’approprie et on re-trouve le livre quand on accepte le sens que l’auteur a voulu lui donner dans la loi symbolique du langage de tous ) ?

 

- Si le livre était lui même aire intermédiaire où peut se jouer la pulsion Amour/dissension ?

 

- Si lire était une autorisation d’une possible agressivité sublimée  et si ne pas pouvoir lire représentait des difficultés d’intégrer cette pulsion ?

 

- Si trop lire représentait un surplus d’agressivité ? un surplus  de démêlés avec la peur de ses pulsions destructrices ? Si les grands lecteurs étaient des délinquants en puissance ?

 

- Si on faisait une approche de l’illettrisme par une approche de textes traitant de l’agressivité ou permettant de la verbaliser ?

 

- Si occuper sa vacance de lecteur c’était savoir tendrement cohabiter avec sa pulsion Amour/dissension

 

Un peu subversif tout ça mais pourquoi pas ? Voilà qui viendrait remettre en question, le dépistage précoce de l’agressivité des bébés, car alors une prévention pourrait faire disparaître un avenir de grand chercheur ou précipiter dans la psychose des êtres fragilisés par une vie sans pitié pour eux.

 

A réfléchir à plusieurs... D’ailleurs en retenant ces hypothèses on retomberait sur nos pattes de la lecture de Malaise de la civilisation de Freud : lutter contre la pulsion de mort par la culture.

 

Je pense aussi à tous ceux là qui ont échoué à reconstruire après une enfance terrible, ne s’en sortant pas de leurs pulsions destructrices, à ceux qui s’en sortent par une surproduction de lecture, de culture, de savoir universitaire. Mais dans les deux cas (échec ou non de la sublimation) la pulsion amour/dissension est là, terriblement puissante pour ces enfants du chagrin et peut-être à tout prendre, faut-il mieux simplement en parler dans la médiation des livres et du groupe.

 

 Reste la question qui taraude :

 

pourquoi certains s’en démêlent, pourquoi certains subliment et pourquoi d’autres non ? La réponse est sans doute à chercher du côté des travaux terminaux de Winnicott sur le père qui autorise ou non dès les premiers instants de la vie du bébé la mise en scène des pulsions destructrices de l’enfant et à l’environnement qui résiste ou non. Du côté du père suffisamment bon au côté de la mère suffisamment bonne.

 

A ce point il faudrait encore parler des concepts essentiels de management et d’environnement, de régression non à un stade mais à une dépendance autorisée dans l’enfance et dans la cure. Mais je ne peux tout vous raconter. A vous de lire et de découvrir.

 

Je veux juste vous dire que ce livre est une cathédrale structurelle de l’oeuvre de Winnicott. Difficile à appréhender mais si passionnante quand on avance de petits sommeils en petits sommeils, quand on interroge avec lucidité et courage sa propre petite poupée russe aux prises avec l’étonnante pulsion Amour/dissension, quand on cesse de dichotomiser, quand on accepter d’articuler les contraires et non de les opposer, quand on repère nos clivages essentiels parfois si protecteurs mais aussi parfois réducteurs et freins à mieux se connaître dans nos symptômes et dans nos sublimations. Bref quand on invente la paix en soi, dans le fil des jours et des livres.

 

Je veux dire encore que ma quête Winicottienne rejoint largement ma quête d’ateliers de lectures. Où commence la culture  commence aussi la question du traitement de la destructivité, traitement social citoyen qui vient s’appuyer en collaboration intelligente avec le traitement identitaire psychanalytique quand il pose le question de la mère suffisamment bonne mais aussi ne l’oublions surtout pas la question du père suffisamment bon dans un itinéraire commun et différentiel des parents suffisamment bons.

 

A suivre donc... dans nos lectures, dans nos travaux, dans nos engagements professionnels et personnels. A suivre dans notre éthique de vie et dans l’écoute de nos bébés, enfants et petits-enfants et...arrières petits enfants !

 

Bonne lecture  de ce livre et de tant d’autres ! Marie-José Colet

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