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29 mars 2009 7 29 /03 /mars /2009 16:22

Cadeau !


 29. Hannah Arendt et quelques autres.


J’ai  lu le livre d’Hannah Arendt,  « Eichmann à Jérusalem » (Gallimard Folio Histoire N°32)  avec une lenteur extrême. Mes affects associés à cette lecture étaient trop douloureux. Je ne suis pas suffisamment historienne pour valider ou invalider la thèse de la coopération des conseils juifs à la déportation. Mais je suis assez désespérée pour imaginer que cela fut possible et qu’une telle morale d’effondrement psychique d’un groupe de victimes fut tragiquement vraie. Mais on ne fait pas l’histoire avec du désespoir et donc je ne prends pas position sur ce fait précis. J’en laisse le soin aux historiens consciencieux


Je prends position sur les attaques livrées contre « le ton » de ce livre (références aux nombreuses bibliographies lues). Ce ton ne me paraît ni sarcastique ni insolent. Je sens dans l’écriture de ce livre une immense rigueur désespérée mais d’un désespoir qui ne peut se dire. De le dire, Hannah Arendt en serait morte. Alors, elle choisit la nécessité des mots qui disent son regard impitoyable sur la réalité psychique d’Eichmann et de quelques autres qui sont des Eichmann qui s’ignorent, des Eichmann potentiels à force d’obéissance à la loi, au règlement, au texte. Ils sont trop nombreux encore ceux-là, de nos jours. Cette description  de la banalité du mal me terrifie, me glace et c’est pour cela que j’ai lu  ce livre si lentement. Mais je l’ai lu jusqu’au bout. C’était ma nécessité à moi pour continuer les ateliers de lectures qui bousculent la rigidité potentielle des textes et qui d’une certaine façon lente introduit de la subversion dans la lecture et ralentissent l’obéissance au texte. Si on n’est pas sûr on va plus doucement, on interroge l’histoire, le social, le monde et peut-être si on est courageux, ses pulsions. Bien sûr, j’introduis ce « désordre » en douceur car l’introduire violemment serait tomber dans le même excès. Pour moi, lire est un acte doux qui se réalise dans la banalité du bien.


Un texte n’est pas un seul son de cloches sinon il rejoindrait la pensée unique qui me fait si peur. Un texte peut-être lu différemment selon la position  de son lecteur. Un atelier de lectures  c’est comme dans le ciel, le carillon de cloches sonnantes. C’est le carillon d’un groupe au travail à l’étude ou/et dans sa joie de lire. Un atelier de lectures c’est un choeur de pensées, quand elles se font recherche du sens  qui toujours échappe. Le sens d’un livre est à construire dans la singularité de son auteur et dans la pluralité de ses lecteurs ; un livre ne devient texte que si il est lu à plusieurs. Un livre se décline toujours au singulier pluriel. C’est ce singulier pluriel  là que j’aime rencontrer, entendre, écouter, faire naître dans les ateliers de lectures. Je suis une accoucheuse de « singulier pluriel ». J’essaie. .Je m’applique.


Dans un autre de ses textes  « Juger » Hannah Arendt dénonce le scandale de la pensée. Le scandale de la pensée, lorsqu’ elle s’affirme unique dans le sillon du totalitarisme. Lorsqu’on pense, on est peut-être unique mais non UN. Hannah Arendt explique dans son journal (tome 1 Page 89/pluralité) : pour être UN, il faut être DEUX, il faut être UN reconnu par un deuxième. Le UN s’oppose au DEUX sinon on est seul et seul n’est pas synonyme de UN. Lorsqu’on partage sa pensée, alors on s’affirme soi, UN,  reconnu par les autres ; l’homme a besoin d’être reconnu pour se sentir exister. AQuand on lit, on est seul, on est dans l’équivocité originelle, parler, partager ses lectures permet d’être UN à partir de la lecture partagée. Ce UN si précieux à Hannah Arendt qui disait ne pouvoir exister sans penser. Partager les lectures donne sa pleine signifiance aux lectures. Cela me paraît primordial dans une perspective clinique auprès de personnes en situation d’illettrisme ou auprès de personnes psychotiques. Leur permettre, d’être UN distinct du Deux de l’autre à partir de leurs lectures partagées avec ce Deux. Les personnes en situation d’illettrisme comme les autres, les psychotiques sont malades de ne pas être reconnus, entendus dans leurs paroles toujours confisquées, les uns pour cause d’illettrisme, les autres pour cause d’exclusion de l’ordre symbolique qui fait l’humanitude.  Partager les livres, c’est partager l’humanitude. approfondir du côté de Levinas. Fréd Poché dans son livre « Penser avec Hannah Arendt et Levinas »(Chronique Sociale) nous prend par la main et nous emmène avec clarté sur ce chemin là des visages reconnus.


Le DEUX, et encore mieux le TROIS, le plusieurs, par la médiation des livres restituent la parole confisquée.  J’en suis certaine.


Comme, je suis certaine, marchant une fois de plus dans les pas d’Hannah Arendt que penser ne peut-être le privilège de certains dans leur tour d’ivoire (sinon cela donne des Heidegger.) Penser appartient à tous, autant aux universitaires qu’aux personnes atteintes de trisomie 21. D’ailleurs mûrit en moi, un atelier de lectures avec eux dans le cadre de l’association Tatoulu, avec Catherine et Didier dont je vous parlais hier et Dominique le Président de cette association. Laisser s’éclore les coquelicots de la création  et créer pour cela l’espace/temps d’un nouvel atelier.  Travailler dans le temps de la maturité et dans la lente profondeur de liens associatifs.


J’ai toujours été émerveillée de la qualité des débats avec le public en difficulté d’être. Ils ne demandent que cela de parler, de penser , de lire. Ils sont sur le bord du chemin, prenons leur la main et dans le temps des ateliers de lectures inventons la démocratie de la pensée partagée.


Inventons, le singulier pluriel des textes et de nos pensées, inventons le Un et le Deux, le Trois et le Quatre, le Quatre et le Cinq , le Cinq et le Mille et de Mille en Mille, dans les textes subvertis, dans leur sens jamais saisi, toujours en fuite. Marchons ! Marchons ! Qu’un sens impur abreuve nos sillons !


Enfin pour mieux vous y retrouver dans cette passionnante histoire de « il était fois un enfant  qui se comptait UN, » je vous conseille un passionnant essai, si plein d’humour  de D.W Winnicott  «  Sum, je suis » (Conversations ordinaires. Gallimard 1988. Pages 60-71). Ainsi donc, même l’enseignement des mathématiques...  Non ! Si ! On en parle ?


Lire c’est apprendre à parler, parler c’est apprendre à lire.


A demain,

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