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29 mars 2009 7 29 /03 /mars /2009 14:57

Cadeau !


15. Le livre de Jef Curvale,
Dominique Delpiroux, Jiho
Les enfants de la mêlée
Erès.2007 (142 Pages)

France/Pays de Galles. On a gagné ! Ce fut un peu juste mais quel beau match ! Quel suspens ! (cela m’a été répété ainsi) . Je n’ai rien à dire, je n’y connais rien en rugby si ce n’est que je suis toujours très impressionnée par les oreilles des joueurs et les mêlées ; tous ces culs dressés vers le ciel dans une solidarité impressionnante me font toujours rire et j’aime rire donc j’aime sans doute le rugby.

En tout cas, j’aime le livre Les enfants de la mêlée. Essai de Pierre Villepreux...transformé par mon ami Rémy Puyuelo. Echauffement avec Henri Stassinet.

C’est un livre où la tendresse, l’humour, les illustrations de talent de Jiho viennent se mêler au dur et sérieux métier d’éducateur. Quand le sport devient lieu de culture mais aussi et surtout un outil efficace pour rencontrer des jeunes en détresse.

Un jour, Jef Curval inventa de son toujours d’éducateur auprès de jeunes délinquants, de jeune épileptiques, auprès d’adolescents aux frontières de la psychose une réponse, un être au monde pour lui et pour tous ces jeunes : le rugby, sport avant tout de contact. C’est de cet être au monde là dont il est question dans ce livre que j’ai tant aimé parce qu’il raconte des solutions, du possible dans cet impossible de l’enfance malheureuse. Dans cet impossible qui pour moi fait toujours scandale.

Scandale de l’ Ecureuil, talentueux pour vider les poches, gamin entre placement et prison, prison et caravane de ses parents, scandale du gamin à la dérive malgré un don sans précédent de buteur d’exception et un sens du jeu extraordinaire. Devant ce scandale de l’enfant paumé mais si doué advint le rugby comme lieu d’un possible être au monde social

Scandale de Paco qui rate son match pour cause de « non-chaussures ». Il n’osa jamais demandé à ses parents de lui racheter des chaussures neuves ; trop de pauvreté collait aux semelles

Scandale de Henri qui finit pendu au bout de sa corde en proie à un sentiment d’abandon insurmontable.

Scandale de tous ces gamins de la misère et du chagrin, de la marge et de la solitude, scandale de ces enfants nés au mauvais endroit au mauvais moment, scandale de la jeunesse bafouée, abandonnée, ignorée, malmenée, mutilée, enfermée, indexée, rejetée, redressée, scandale de ces enfants qui si jeunes prennent pour destination de vie, le naufrage.

Alors devant ce scandale, Jeff prend le ballon et le lance ! A eux de courir pour l’attraper, à eux de marquer le but, à eux de pousser dans une mêlée solidaire, à eux de jouer au rugby. C’est si simple ! si beau ! si humain et dans la tension du jeu et des relations qui s’instaurent avec d’autres sur le terrain, les voilà, qui à leur insu, dans la douceur du gazon et la brusquerie du jeu deviennent peu à peu sujets d’une partie à gagner. Dans le sport il ne s’agit pas de perdre ! Il faut y être ! Cette nécessité là « d’y être » dans la ferveur de défendre la couleur symbolique de son maillot les sauve autant que faire ce peu de leur galère et de leur scandale.

Certaines histoires sont drôles, d’autres cruelles, d’autres révoltantes, d’autres tristes, certaine ont une fin heureuses, d’autres tragiques. Pas une ne ressemble à la précédente parce que pas un ado ne ressemble jamais à un autre ado, parce que pas un humain ne ressemble à un autre humain mais c’est avec ce singulier là que Jef s’applique à créer le pluriel de son équipe. Le ballon va de l’un à l’autre dans le mouvement de la vie, de ses évènements, de ses drames, de ses séparations, de ses retrouvailles. Une partie est finie, une autre recommence et si mon équipe a perdu cette fois-ci, elle gagnera là fois prochaine ; ça s’appelle espoir. Le ballon roule, la vie coule, les parties s’enroulent, les victoires se déroulent, il enlève son maillot, le remet, décrotte ses chaussures et dans le vestiaires les mots fusent et même enfouis dans la pudeur de la peur de se montrer, les sentiments sont bien là. Alors à lire ce livre, je comprends que rugby rime avec vie.

Bravo ! Jef Curvale pour la partie que vous avez engagé contre le scandale de l’enfance malheureuse, bravo pour votre amour des « Sales gosses », titre d’un autre de vos livres, que j’ai tout autant aimé.

Enfin, je veux vous dire, Jef, que pendant mes dernières années de travail auprès de jeunes en difficulté d’être, j’ai souvent comme un ballon, fait circuler votre livre de mains en mains et qu’il fut souvent temps de lectures entre nous, et de contacts réussis. Car la lecture est aussi, j’en suis convaincue un sport de contact. Un sport de l’âme mais un sport où le ballon est un livre ! Lisons et lançons le livre sur le gazon de nos mots affectueux et intelligents, de nos mots inventifs, créatifs... Quelqu’un s’en saisira et la vie continuera.

Le scandale de notre solitude sera vaincue dans les pages tournées, dans les mots échangés, dans les interrogations partagées, dans les réponses données, par le temps dompté, par le sablier caressé.

Hier, j’ai lu sur un site lacanien dont j’aime le foisonnement et la richesse intellectuelle avec des chants profonds pour accompagner nos lectures, une phrase sur laquelle je veux revenir qui disait que perdre le sens c’est trouver la liberté. Non, je ne le crois pas. Le sens ce doit être comme un ballon de rugby que tour à tour on perd et on retrouve ; c’est cette aller et venue du ballon qu’on saisit et qu’on lâche qui constitue la liberté. La liberté, c’est pourvoir lâcher pour mieux reprendre. La liberté c’est du mouvement, de l’alternance présence du sens /absence de sens. Lire c’est cela : retrouver le sens de ce qu’un auteur a voulu dire pour soudain nous l’approprier mais aussi pour le lui rendre. Dans les ateliers de lecture dompter le temps, caresser le sablier c’est s’inscrire dans cette alternance du sens, la vivre et la parler pleinement, c’est inventer la liberté d’être par la liberté des mots, ensemble, tous ensemble, c’est nous donner une chance de nous parler sans posséder, c'est nous donner une chance d'être moins seul dans le langage.

Allez ! On continue la partie du mouvement, de la solidarité, des colombes déployées, des ballons envolés dans le ciel de nos vies ! Allez ! On continue, et moi, je le sais à mon dernier souffle ou presque, je clamerai du fond de mon coeur, corps et âme confondus, sur le stade de mes heures écoulées :

« But ! j’ai vécu ! »

A demain,

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