Dans le souffle des petits enfants
Sur le chemin du retour nous n’avons rien entendu, aucune vision miraculeuse ne vint troubler le silence
au dessus du lac des cendres à Birkenau
Le monde était très calme et notre mémoire n’était plus à vif
Les noms des lieux de l’horreur avaient pu être épelés,
Auschwitz
Birkenau
Treblinka
Maïdanek
Chelmno
Sobibor
Belzec
Terreur de nos enfances quand nos lèvres étaient sales
Mais le soir nos esprits studieux se penchent sur ce passé que nous avons à transmettre,
à analyser, à produire, à écrire
Le monde était calme ce jour-là
Et la pliure de nos fronts
dans cette clarté,
Près du lac des cendres à Birkenau
Mais le silence était plus grand au bord du lac des cendres à Birkenau
C’est vers le soir que nous avons voulu devenir savants
Comme un vœu qui nous engage au-delà de la solitude,
afin que l’immensité du ciel laisse se déployer une terre de connaissance
O mon Dieu, par ta justice et par ta miséricorde,
jusqu’où ira notre science ?
Les âmes sont patientes et accueillent le silence
Mais d’où viendra notre espérance ?
Comme Moïse le transmit aux oreilles de Josué,
il nous faudra nous souvenir d’Amalec,
pour effacer son nom de dessous les cieux
Nous effacerons les noms
des lieux
de l’horreur
de dessous les cieux
Nous écrirons, nous épèlerons les noms des victimes,
mes frères et mes sœurs,
fleuve de toute bonté
rameau de la miséricorde
endurance de votre âme
palpitation visible
Paradoxe de votre incarnation
Vous êtes un ciel
et ma main surprend le battement de votre sang dans la boue et les écorces
Vous me regardez
et un nom monte à mes lèvres
Votre regard est dans le nom
car l’air
était sans yeux
ce jour-là
Qui serons-nous pour vivre
alors,
quand le ciel très haut surplombe le lac des cendres à Birkenau ?
Nous nous appartenons mutuellement
lorsque nous quittons ces terres désolées
Qu’y aurait-il à faire de l’horreur ?
Rien,
sinon
transmettre le souffle de l’enseignement
le souffle de vie
Car le monde se tient dans le souffle des petits enfants qui vont à l’école
Adam, il s’appelle
le souffle qui parle
ruah memalela
ruah memalela
ruah memalela
Dans le retrait de Celui qui exhala en nous l’âme de vie,
nous le maintiendrons cet espace
Chivitti Adonaï lenegedi tamid
J’ai placé Adonaï
devant moi
toujours
Alors
perpétuellement
il vient,
dans l’infini,
le souffle des petits enfants.
Monique Lise Cohen
(octobre-décembre 2001)
Poème publié dans :
Les enfants de la Shoah. Colloque de Lacaune, 17-18 septembre 2005
Les Editions de Paris, 2006
P.281-283