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29 mars 2009 7 29 /03 /mars /2009 10:47

Chemin de lecture. Pour mettre en place des ateliers de lecture il me paraît important de repérer les bornes de son propre chemin lecture, de son propre rapport  à la lecture et aux livres.. Retrouver ce qui fait ma nécessité dans l’acte de lire.

Une nécessité de lien. A quel moment le livre a-t-il fait lien pour moi ?  Quand mon père m’a prise sur ses genoux avec un grand abécédaire. Chaleur du père bien plus que loi. De cela je me souviens. Dans les ateliers de lecture j’essaie d’inventer de la chaleur parce que parfois, (pas toujours) quand on lit on est seule (e) on a froid du savoir, des mots qu’on ne peut partager. Cela se traduit par cette phrase si anodine et pourtant si essentielle : « Il faut absolument que tu lises cela. ». Pourquoi « absolument ? ». Quel est cet absolu qui vient là s’inscrire dans la relation  si ce n’est une demande de chaleur et de partage, si ce n’est une demande d’amour : « reconnais-moi, reconnais-toi  dans et par ce livre. » ? . Nous sommes donc pareils ? Justement non. Des milliards de livres pour des milliards d’individus. J’ai appris à lire parce que mon père me disait par toute son attitude : « Apprends à lire. Il faut absolument que tu apprennes à lire. » et c’est peut-être cette première nécessité de l’adulte qui va créer chez l’enfant sa première nécessité de lecture. C’est ce lien étonnement fort du père, de la mère, de sa famille qui va l’inscrire dans l’alphabet et quand ce lien se brise il faut le reconstituer très vite, greffer des lettres, raccommoder, recoller les morceaux  et continuer. Je crois que c’est peut-être ainsi que je définirai –entre autre- mon travail d’ateliers de lectures auprès des publics en difficulté : greffer de la nécessité perdue, perte qui se traduit par « A quoi ça sert de lire madame ? » Lire ne sert à rien d’autre qu’à être, qu’à parler, qu’à s’inscrire dans la cité en remplissant des papiers administratifs mais aussi en s’appropriant sa culture, les affiches de cinéma ou de concert, les noms des rues, les textes dans les devantures et mieux encore l’Histoire dans sa durabilité. Je me souviens d’une brochure commune réalisée avec des jeunes qui a trouvé sa place au Musée de la Résistance. Lire, « sert »  à se reconnaître, à reconnaître les autres, à être reconnu par les autres, à être soi dans ses nombreux indices identitaires mais aussi à vivre pleinement sa citoyenneté. De cela je suis convaincue. C’est une histoire de terrain.

Une autre nécessité de lire pour moi est de poser, d’habiter, d’épeler une vie émotionnelle intense. Enfant, je me souviens de mon père exilé de Russie dans un impossible retour lisant à ma mère en pleurant un grand roman russe Le chemin des tourments.  Ainsi très jeune, je découvris que lire était aussi une histoire de larmes partagées. Les ateliers de lecture sont des lieux de partage d’émotions à partir d’un texte incertain. Je me souviens de Mamadou, dans un atelier du Livre ouvert nous parlant du Petit Prince et se souvenant alors de son Sénégal natal. Médusés, émus nous l’écoutions reconnaissant  à peine ce texte pourtant si connu de tous. J’ai appris au cours des ateliers de lectures que rien n’est moins certain qu’un livre.

Je lis en ce moment la biographie de Winnicott dans lequel il est dit combien Winnicott était sensible à la différencedifférence qui est travaillée par la lecture. Nous lisons un texte précis puis nous le remanions dans notre étrange alchimie du désir engendrant une différence avec l’instant lu , un écart au contenu. Dans les ateliers cette différence est notre monnaie d’échange engendrant une plus-value de plaisir et de désir de lire. Les ateliers de lectures sont des usines dans lesquelles nous produisons nos lectures, nous enrichissant comme ça d’être ensemble. Nous venons avec un livre, nous repartons avec six livres, notre marchions sur un chemin et voici que devant nous se déploient six routes existentielles ; Notre existence se démultiplie, se complexifie des mots de tous, des apports de chacun et nos pas intelligents et sensibles s’ancrent dans notre chemin de vie, dans notre vacance de lecture.. existant entre le moment vécu et le moment de l’après-coup de ce vécu là. Je crois que c’est cette

Hier, je parlai du moment de chagrin que j’avais eu lors de mes visites aux librairies du Mémorial de la Shoah et de l’Institut du monde arabe. Je crois que c’est parce que j’avais vu là des livres objets, abandonnés dans leur solitude de livres ; il n’y avait pas d’humains pour les porter, de paroles pour les habiter ; les livres de ces deux cultures différentes étaient séparés par un quartier de Paris. Il y avait un clivage géographique des livres qui venait souligner désespérément un clivage de guerre. Dans un atelier de lectures, (j’allais écrire un atelier de cultures) les cultures se mêlent et se parlent. Un atelier de lecture est interculturel et chacun parle son livre, chacun parle sa lecture et de ces paroles multiples, comme une étincelle dans la nuit des conflits, naît un espoir d’écoute, je dirais même de la tendresse. L’atelier de lectures est un lieu de tendresse contre toutes les détresses, de complexité, de tâtonnement. Le risque d’un livre, posé là dans une librairie est d’être intelligent au risque de perdre de l’humanitude. les ateliers de lectures sont peut-être une chance d’humanitude pour les livres et leurs lecteurs, ils sont peut-être une chance de donner la parole aux livres et de créer la pensée plurielle garante de démocratie. La pensée plurielle ne peut naître que d’échanges pluriels. Je ne sais pas encore, je suis trop jeune mais c’est de ce côté là que je cherche  la colombe dans le ciel de ma vie. Dans le ciel de ma vie et dans le pluriel des livres de tous.

A demain,

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