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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 21:08

Prends garde à toi 

(vidéo)

Un document pédagogique réalisé par Maïté Debats et Carol Prestat

APIAF Décembre 2005

31 rue de l’étoile 31000 Toulouse

mail : apiaf@wanadoo;fr

tél : 33 (0)562737262

 

Cette vidéo est un document pédagogique crée dans le cadre du COVEF ayant pour but le développement de la formation des acteurs sociaux travaillant auprès des femmes victimes de violences domestiques a auprès d’auteurs de violences.

 

Un film d’images et de mots.

Images de visages. M..., femme harcelée qui a traversé le cercle de feu et qui nous montre maintenant son visage apaisé, son regard clair, sa voix posée : « ça va les enfants ? » dit-elle au cours de son récit de douleurs. Elle est bien coiffée, bien maquillée. Elle est femme. Femme gagnante. Elle a gagné sur le harcèlement qu’elle a vécu tant d’années ; elle a gagné sur l’horreur. « Elle ne veut plus sentir sa bouche mourir de silence » dirait  Denis Langlois.

Un visage caché aussi, mais une voix décidée, celle d’une autre femme qui se confie.

 

Visages de professionnels attentifs et chercheurs, visages émouvants de spécialistes au travail d’une lourde tâche : Luis Bonino, psychiatre  et directeur de recherche de Madrid qui a la gorge nouée tant il est remué, Dorothea Hecht de  Berlin, Marya Gencheva et Jivka Marinova de Gert (Sofia), Françoise Cherbit de SOS Femmes (Marseille) et surtout les visages splendides, lumineux d’intelligence de Marike Gueurts et Françoise Debats de l’APIAF. Cela pour les visages admirablement filmés, cela pour les images. Cela pour le solide travail des cinéastes  accomplies que sont Maïté Debats et Carol Prestat qui dirigent avec fermeté leur caméra dans un étonnant chemin de mots, balisé par un plan rigoureux qu’il me paraît nécessaire de reprendre pour ne pas trahir ce travail de réflexion approfondie sur le harcèlement moral, véritable tragédie humaine. Un scénario à la Hitchkok mais cette fois-ci il ne s’agit pas de fiction mais de réalité.

 

Tout d’abord : le titre : Prends garde à toi . Un titre qui dit la menace qui pèse sur la femme pensive de la couverture de la vidéo. A quoi pense cette femme ? Elle pense au scénario de sa vie qui se fait doutes et  douleurs. Elle pense à sa solitude. Un titre qui dit aussi l’impératif attentif adressé à une femme : Prend garde à toi.  Et c’est déjà le premier mérite de ce film : arracher les femmes harcelées à leur solitude en mettant des mots et un ordre rigoureux sur leur tragédie. Certes, il existe des hommes harcelés, il faut le dire mais c’est principalement des situations vécues par des femmes, c’est pour cela que cette vidéo traite du calvaire des femmes mais par la profonde réflexion engagée on peut, bien sûr, réfléchir aussi sur celui des hommes harcelés. La vidéo parle donc des femmes dont la douleur du harcèlement est spécifique mais dans un coin de l’image, je pense que les hommes harcelés ne sont pas oubliés et peuvent se reconnaître. Mais il est important de noter que si hommes harcelés il y a, c’est sous une forme différente que cela se produit.

 

Le film présenté  fait le choix de donner la parole à des femmes qui ont été victimes de violences conjugales et ont franchi le pas de la séparation.

 

Cet outil pédagogique se présente comme un livre dont on tourne les pages dans la lenteur de chapitres denses et synthétiques qui donne toute la cohérence de la pensée des auteures. Je me suis appliquée à respecter cette cohérence et à suivre cette pensée dans la chronologie que nous révèle le film même si pour rendre plus aisée la lecture de cette note, je n’ai pas nommé les chapitres.

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Le film s’ouvre sur un gros plan de M…

 

 « Je ne sais pas comment j’ai fait pour tenir. « Des preuves, je n’en avais pas, » alors je ne pouvais porter plainte. » M… parle, M… dit « le sourire méchant, les pneus crevés », elle dit l’insaisissable de la relation, de la violence psychique. Elle dit l’intangible qui fait que personne ne la croit, que la justice ne la soutient pas. « C’est traumatisant le harcèlement ». Mot essentiel me semble - t- il : « traumatisant ». Le harcèlement est un traumatisme physique ou psychique, ou les deux. Un coup violent sur le corps ou sur l’âme. Ainsi est souligné avec justesse le déni de l’homme qui harcèle : déni du divorce, déni de la rupture. Ces hommes n’acceptent pas de lâcher. « j’ai essayé tous les moyens possibles pour la retenir, mais ça n’a rien donné donc je vais lui faire peur. » Ainsi s’articule la terrifiante logique du harcèlement. Terrifiante car elle pousse parfois la femme au suicide. Mais ce n’est pas un suicide c’est un meurtre. Les femmes harcelées vivent un véritable film d’horreur parce qu’elles sont enfermées dans un « on ne me croit pas. » parce qu’il existe un mythe très fort autour de l’amour fou, de l’homme « abandonné » dans son mal-être. Marike Gueurts souligne alors la nécessité d’une enquête et la nécessité d’écouter la femme. Pourquoi la femme inventerait- elle une souffrance si intime ? Ecouter et croire la femme.. Entendre, écouter la plainte, la resituer dans le contexte de vie de la femme qui parle est essentiel car il est prouvé que les violences physiques ont toujours été précédées de violences psychologiques ou sexuelles. Les travailleurs sociaux doivent laisser cette idée de preuve à la police et à la justice et doivent bien plus être dans une dynamique d’écoute et de dialogue avec la femme qui vient se plaindre intimement à eux.

 

 

Puis nous suivons les auteures dans un chapitre essentiel qui dit combien « il faut en finir avec la désastreuse confusion entre conflit conjugal et violences conjugales »

 

Une distinction fondamentale est articulée comme repère pour l’accompagnement de ses femmes : la séparation est-elle acceptée ou déniée par le partenaire ? La femme a fait un immense chemin pour arriver à cette rupture, son partenaire lui laissera-t-il passer son chemin ? La femme n’a plus de colère, elle veut simplement passer son chemin et c’est un travail très difficile pour elle, car socialement, elle a le mauvais rôle en laissant cet homme sur le bord de la route. Mais la femme est certaine qu’elle souhaite la séparation et c’est là la différence avec le conflit conjugal . La femme veut « passer son chemin » voilà ce que refuse et dénie l’homme violent. Ainsi la violence sur la femme et sur les enfants s’installe dans l’irrespect de la décision de la femme :

 

Cet homme, l’auteur des violences  dit « tu n’as pas le droit de me quitter » ou il dit « Tu peux me quitter mais je garde les enfants. » C’est ça le scandale, l’inacceptable. « On n’a pas le droit de dire cela. »C’est instaurer un véritable climat de guerre à partir des enfants. C’est ça la violence

 

Les femmes savent toutes le chemin qu’elles ont eu à parcourir pour s’extraire de l’inacceptable et on leur a souvent signifié qu’elles ont accepté longtemps l’inacceptable.  « En réduisant le harcèlement à un conflit conjugal, on les empêche de s’extraire de cet inacceptable là, on calme le jeu et on les rend prisonnières de la violence subie. » Le rôle des travailleurs sociaux dans ce contexte là est extrêmement important soulignent les auteures. On en revient toujours là : écouter la femme, l’entendre en ne l’enlisant pas dans ce qui serait un conflit conjugal. Bien repérer quand la femme veut passer son chemin, qu’elle a trop souffert et que c’est maintenant fini, la négociation n’est plus possible : elle veut la paix. Mais la paix ne doit pas être à n’importe quel prix. La nuance est importante. « la femme veut la paix mais ne veut pas faire la paix. » Il ne faut surtout pas les mettre dans la position de faire la paix : ce serait les mettre dans le même déni que leur partenaire qui dénie la séparation. C’est la femme qui paierait le prix fort de cette paix car elle continuerait d’être harcelée. « Le juge serait en paix mais la femme non. » Donc éviter le piège de l’amiable.

 

C’est alors que le film interroge la question des enfants « exposés » aux violences conjugales

Le piège de l’amiable fonctionne « pour les enfants ». Il faudrait toujours s’en tenir au cadre de la séparation car souvent les enfants sont malheureusement utilisés comme prétexte pour

s’approcher de la mère et la harceler.  L’amiable fonctionne comme une machine infernale pour les femmes qui veulent « passer leur chemin », «  qui veulent la paix. »

C’est à ce point du film qu’il est présenté une excellente différenciation du tiers et du médiateur en regard de cette distinction essentielle entre conflit conjugal et  violences conjugales.

 

Il faut des tiers mais non pas des médiateurs.

« Médiateurs cela voudrait dire qu’on essaierait de faire négocier deux personnes qui seraient à égalité co-responsables. » Il est impossible de fait ce travail lors de la dénonciation des violences. Il est impossible que deux personnes parlent quand l’une a peur de l’autre. « Par contre les tiers vont aider les deux partenaires à se positionner séparément. » A chaque fois, le travailleur social doit se souvenir de ce que la femme a raconté de sa terrible souffrance. Il n’y a pas commune mesure entre une dispute et « le fait d’annuler l’autre. »

 

C’est parce que cette distinction entre  conflit conjugal  et harcèlement moral est essentielle qu’il faut mettre en place des grilles d’analyses très fines pour savoir quel type de relation se joue entre mère, enfant, père, mère et ainsi en finir avec « une parentalité chimérique. » Il faut définitivement faire le deuil d’une bonne relation entre le père et la mère puisqu’ils sont divorcés mais il faut aider le père à se repositionner et accepter que ce n’est plus possible de vivre ensemble. « C’est le droit de la mère de se séparer du père » et c’est pour cela donc qu’il faut cesser « l’intolérable droit de surveillance » ; cela est filmé dans le temps d’une confidence d’une femme dont on ne voit pas le visage qui raconte comment, avec l’autorisation de l’éducatrice, le père avait accès à sa propre intimité par le biais des enfants (voir chapitre « Risque de l’amiable »). Ainsi les insultes et le harcèlement continuaient. Sorte de chantage via l’éducatrice. Les travailleurs sociaux doivent être vigilants au cadre et le  faire respecter car s’il y a violence, l’égalité parentale est rompue et le couple parental ne peut plus être pensé de la même façon. Et apparaît à nouveau la notion de tiers qui prend acte de la séparation de part et d’autre et permet de construire un couple parental alternatif. Le tiers c’est celui qui va aider le parent délaissé à cheminer dans le fait qu’il doit accepter cette séparation, accepter un cadre qui imposera les droits et devoirs de chacun dans le respect mutuel des deux partenaires. «  Le socle d’une vraie parentalité  est  le respect de l’autre parent. : responsabilité parentale et alternative. »

 

Puis est interpellée avec intelligence la notion de présence du père en regard des compétences de la mère. Socialement le père est vécu comme devant être présent et la mère comme devant être compétente et protectrice de ses enfants. Le film avance un étonnant paradoxe à approfondir  dans le fil des mots de Françoise Debats quand elle s’adresse aux mères  : Ne laissez pas croire à vos enfants que vous pouvez les protéger .Ce passage est difficilement soutenable car non évident socialement et il déconstruit un cliché.

 

Enfin est abordé la notion essentielle « des parents suffisamment bons »Est alors développée  la question pour la mère et pour le père des limites pour que l’enfant puisse se construire dans un cadre où le oui n’existe pas toujours et cela même dans un cadre de parents alternatifs. Se pose là une nouvelle parentalité à interroger et à faire exister quand la mère a décidé de passer le chemin. Décidément j’aime cette expression.

 

On trouvera aussi dans ce film « un livret noir », livret terrible qui dit la position terrible de la mère qui part et qui est harcelée. Quoiqu’elle fasse, elle a tort. Du côté de Kafka. Témoignage douloureux consécutif à un placement suite au départ de la mère n’en pouvant plus d’être harcelée. Quel est le sens de ce placement ? Comment signifier aux enfants que le père n’accepte pas la séparation. ?

 

Puis succèdent pour finir des vignettes cliniques très émouvantes, sobrement écrites en noir et blanc. Couleurs deuil et sur un fond de silence et de lenteur. Poignant.

 

Les auteures insistent sur la nécessité « de donner du sens » aux situations les plus douloureuses et de retrouver avec ces femmes en danger quelle fut leur chemin et les obstacles rencontrés pour dire « j’existe. » afin de sauvegarder par la loi cette existence si chèrement acquise..

 

Dans  un dans un deuxième film à ne pas manquer, qui suit le générique, on trouvera un bonus intitulé : « La loi en question », où on trouvera une présentation approfondie des lois de quelques pays européens sur les violences domestiques à l’encontre des femmes. Les difficultés de les actualiser et les noeuds sociaux  qui font résistance à ces lois sont traités de façon détaillés et qui ne peuvent que passionner et enrichir les professionnels. A la fois complexe et évident tant le consensus social a tendance à rendre en partie responsable la femme victime de violences.  Quand les préjugés sont là pour dire : « Et si dans les violences conjugales, la femme y était pour quelque chose ? » Dramatique consensus qui rappelle celui des femmes violées qui « l’auraient bien cherché » leur dit-on.. L’horreur !  Le chemin de la libération des femmes est long, bien long, semé d’embûches et de préjugés, de stéréotypes et de constructions fantasmatiques et réelles à toujours déconstruire, de lieux communs honteux qui emprisonnent les femmes dans des scénarios de cauchemars et de traumatismes. Mais une telle vidéo s’engage pleinement, intelligemment, avec émotion aussi dans la lutte contre les violences conjugales. Excellent document pédagogique que chaque travailleur social doit avoir dans sa boîte à outils.

 

 Une caméra pour des femmes. Une caméra pour des mots de femmes. Une caméra pour les hommes et pour les femmes quand ils se font ensemble chercheurs d’humanité.

 

MJC

PS Tout aussi passionnant, de Carol Prestat et Maïté Débats :

Des Dames comme tout le monde et Cinq femmes et des mariages (Films du Sud)

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