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22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 23:36

Marcel Proust

 

A la recherche du temps perdu

Le temps retrouvé

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1954

 

P.883-884

 

« Justement, comme, en entrant dans cette bibliothèque, je m’étais souvenu de ce que les Goncourt disent des belles éditions originales qu’elles contient, je m’étais promis de les regarder tandis que j’étais enfermé ici. Et tout en poursuivant mon raisonnement, je tirais un à un, sans trop y faire attention, du reste, les précieux volumes, quand au moment où distraitement l’un d’eux : François le Champi de Georges Sand, je me sentis désagréablement frappé comme par quelque impression trop en désaccord avec mes pensées actuelles, jusqu’au moment où avec une émotion  qui allait jusqu’à me faire pleurer, je reconnus combien cette impression était d’accord avec elle. Tandis que dans la chambre mortuaire les employés des pompes funèbre se préparent à descendre la bière, et que le fils d’un homme qui a rendu des services à la patrie serrent la main aux derniers amis qui défilent, si tout à coup retenti sous les fenêtres une fanfare, il se révolte, croyant à quelque moquerie dont on insulte son chagrin ; mais lui, qui est resté maître de soi jusque là, ne peut plus retenir ses larmes, car il vient de comprendre que ce qu’il entend c’est la musique d’un régiment qui s’associe à son deuil et rend honneur à la dépouille de son père. Tel,  je venais de reconnaître combien s’accordait  avec mes pensées actuelles, la douloureuse impression que j’avais éprouvée en voyant ce titre d’un livre dans la bibliothèque du prince de Guermantes ; titre qui m’avait donné l’idée que la littérature nous offrait vraiment ce monde de mystère que je ne trouvais plus en elle. Et pourtant ce n’était pas un livre bien extraordinaire, c’était François le Champi. Mais ce nom là, comme le nom des Guermantes, n’était pas pour moi, comme ceux que j’avais connus depuis. Le souvenir de ce qui m’avait semblé inexplicable dans le sujet de François le Champi tandis que maman me lisait le livre de George Sand, était réveillé par ce titre (aussi bien que le nom de Guermantes depuis longtemps, contenait pour moi tant de féodalité – comme François le Champi l’essence du roman - ), et se substituait par cet instant à l’idée fort commune de ce que sont les romans berrichons de George Sand. Dans son dîner, quand la pensée reste toujours à la surface, j’aurai sans doute parler de François le Champi et des Guermantes sans que ni l’un ni l’autre fussent ceux de Combray. Mais, quand j’étais seul, comme en ce moment, c’est à une profondeur plus grande que j’avais plongé. A ce moment-là, l’idée de telle personne dont j’avais fait la connaissance dans le monde était cousine de Madame de Guermantes, c’est à dire d’un personnage de lanterne magique me semblait incompréhensible, et tout autant, que les plus beaux livres que j’avais lus fussent – je ne dis pas même supérieurs, ce qu’ils étaient pourtant – mais égaux à ce texte extraordinaire François le Champi. C’était une impression bien ancienne, où mes souvenirs d’enfance et de famille étaient tendrement mêlés et que je n’avais pas reconnusse tout de suite. Je m’étais au premier instant demandé avec colère quel était l’étranger qui venait me faire du mal. Cet étranger, c’était moi-même, c’était l’enfant que j’étais alors, que le livre venait de susciter en moi, car de moi ne connaissant que cet enfant,  c’est cet enfant que le livre avait appelé tout de suite, ne voulant être regardé que par ses yeux, aimé que par son cœur, et ne parler qu’à lui. Aussi ce livre que ma mère m’avait lu haut à Combray presque jusqu’au matin, avait-il gardé pour moi tout le charme de cette nuit là. Certes, la « plume » de George Sand, pour prendre une expression de Brichot qui aimait tant dire qu’un livre était écrit « d’une plume alerte », ne me semblait plus du tout, comme elle avait paru si longtemps à ma mère avant qu’elle modelât lentement ses goûts littéraires sur les miens, une plume magique. Mais c’était une plume qui sans le vouloir j’avais électrisée comme s’amusent souvent à faire les collégiens, et voici mille riens de Combray, et que je n’apercevais plus depuis longtemps, sautaient légèrement d’eux-mêmes et venaient à la queue leu leu se suspendre au bec aimanté en une chaîne interminable et tremblante de souvenirs. »

 

Mots-clef :  livre et maman . MJA

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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 19:01

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours

 

Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971

 

Jean Santeuil.

A Iliers

P.325

 

 « A peine on avait poussé la porte du parc, qu’entre les branches des buissons on voyait blotties de grosses « boules de neige », comme le jardinier disait à Jean qu’elles s’appelaient, mais que cueillies ne fondaient pas dans sa main, qui restaient toutes blanches et aussi grosses que dans les vases de la salle à manger.

Jean pensait vaguement qu’on était arrivé enfin à ces jours où rien ne se changeraient plus, à partir desquels sa mère resterait éternellement jeune et lui éternellement libre et gai, dans le même soleil ardent, immuablement établi sur la terre. Après les premiers buissons de boules de neige, le    (blanc dans le texte) mêlait de temps en temps à son feuillage sombre ses fleurs de fine mousseline aux étoiles brillantes que <jean rien qu’en les touchant faisait tomber, s’émiettant et répandant une bonne odeur comme la pâtisserie. Partout, nées de la terre, sorties de l’écorce, posées sur l’eau de molles créatures vivaient dans leur parfum, laissant flotter leur ravissante couleur. Cette douce couleur mauve qui, après la pluie, dans un arc qui semble tout voisin mais qu’on ne saurait approcher, se montre à nous mais dans le ciel entre les branches, métamorphosée en molles et fines fleurs, on pouvait la regarder, l’approcher, respirer son odeur, fine comme elle, aux branches du lilas, l’emporter avec soi ;  Les Orientaux n’ont pas pu donner à un vase, une couleur plus précieuse. Et, c’est l’Orient du reste qui a donné sa vie à ses beaux lilas, de sang persan, mauve ou d’une blancheur d’anis, sveltes Shéhérazade immobiles entre les branches, dans leur nudité précieuse d’étoffe, toutes limpides encore des parfums dont elles semblent sortir et qu’elles exhalent violemment. »

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 19:03
Marcel Proust

Le  Temps retrouvé

Edition établie par Pierre Clarac et André Ferré

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1914/1954

 

Pages 1043-1045

 

« Ce serait un livre aussi long que les Mille et un Nuits, peut-être, mais tout autre. Sans doute, quand on est amoureux d’une œuvre, on voudrait faire quelque chose de tout pareil, mais il faut sacrifier son amour du moment, ne pas penser à son goût, mais à une vérité qui ne vous demande pas vos préférences et vous défend d’y songer. Et c’est seulement si on la suit qu’on se trouve parfois rencontrer ce qu’on a abandonné, et avoir écrit, en les oubliant, les « Contes arabes » ou les « Mémoires de Saint-Simon » d’une autre époque. Mais était-il encore temps pour moi ? N’était-il pas trop tard ?

   Je me disais non seulement : « Est-il encore temps ? » mais « Suis-je en état ? » La maladie qui, en me faisant, comme un rude directeur de conscience, mourir au monde, m’avait rendu service (« car si le grain de froment ne meurt, après qu’on l’a semé, il restera seul mais si il meurt, il portera beaucoup de fruits », la maladie qui, après que la paresse m’avait protégé contre la facilité, allait peut-être me garder contre la paresse, la maladie avait usé mes forces et, comme je l’avais remarqué depuis longtemps, notamment au moment où j’avais cessé d’aimer Albertine, les forces de ma mémoire. Or la récréation par la mémoire d’impressions qu’il fallait ensuite approfondir, éclairer, transformer, en équivalents d’intelligence, n’était-elle pas une des conditions, presque l’essence  même de l’œuvre d’art telle que je l’avais conçue tout à l’heure dans la bibliothèque ? Ah !si j’avais encore les forces qui étaient intactes encore dans la soirée que j’avais alors évoquée en apercevant François Le Champi ! C’était de cette soirée, où ma mère avait abdiqué, que datait avec la mort lente de ma grand-mère, le déclin de ma volonté, de ma santé. Tout s’était décidé au moment où, ne pouvant plus supporter d’attendre au lendemain pour poser mes lèvres sur le visage de ma mère, j’avais pris ma résolution, j’avais sauté du lit et était allé, en chemise de nuit, m’installer à la fenêtre par ou entrait le clair de lune jusqu’à ce que j’eusse entendu partir M. Swann . Mes parents l’avaient accompagné, j’avais entendu la porte du jardin s’ouvrir, sonner, se refermer...

   Alors, je pensais tout d’un coup que si j’avais encore la force d’accomplir mon œuvre, cette matinée _ comme autrefois à Combray, certains jours qui avaient influé sur moi_ qui m’avait, aujourd’hui même, donné à la fois l’idée de mon œuvre et la crainte de ne pouvoir la réaliser, marquerait certainement avant tout, dans celle-ci, la forme que j’avais pressentie autrefois dans l’église de Combray, et qui nous reste habituellement invisible, celle du Temps. »

 

   Aujourd’hui, je suis passée devant une Eglise. Je ne sais pourquoi, moi, la juive laïque, j’ai eu envie d’y rentrer. Ce soir, à la lumière de ce texte de Proust, ma pensée va vers mon père adoptif disparu dans un accident de voiture. J’avais onze ans, j’étais en pension. Le dimanche précédent sa mort, il était venu me voir. Toute ma vie, je saurai l’instant où il s’est retourné, dans le sourire qui était le sien, me disant  « A dimanche prochain ! » Dans le temps de ce temps sont nés  ma certitude de la mort et mon désir d’écrire.


Le rapport avec l’église de ce jour ?

 

Je ne sais pas.

 

MJA

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20 octobre 2010 3 20 /10 /octobre /2010 19:17
Marcel Proust

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours

 

Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971

 

Les Plaisirs et les jours

Appendice

Allégorie (P.177-178)

 

« Il y avait dans le pré un endroit si richement, si diversement fleuri qu’on avait coutume de l’appeler le jardin. Chaque jour il s’épanouissait davantage dans la joie de sa beauté et dans la bonne odeur de ses parfums. Un soir, un orage furieux arracha, puis emporta toutes les fleurs. Puis une pluie torrentielle tomba, glaçant le sol meurtri ; tout ce qu’il aimait le mieux était parti, déraciné de son coeur même. Maintenant tout lui était égal, mais ce froid sans trêve, cette inondation folle, c’était la dernière cruauté. Cependant le vent prenait à poignées toute la terre légère et la jetait devant lui. Bientôt la dernière couche résistante fut à nu, le vent n’eut pas de prise sur elle, mais l’eau ne la traversait pas, et c’était un jardin si imprudemment vallonné qu’elle ne pouvait s’en écouler, restait là. Et toujours elle tombait à torrents, noyant de larmes le jardin saccagé. Au matin, elle tombait encore, puis cessa : le jardin n’était plus qu’un champ dévasté couvert d’une eau trouble. Mais tout pourtant s’apaisait quand vers cinq heures, le jardin sentit son eau calmée, devenue pure, parcourue d’une extase infinie. Rose et bleue, divine et malade, l’après-midi, céleste, venait se reposer sur son lit. Et l’eau ne la voilait ni ne la froissait nullement mais de son amour approfondissait peut-être encore son regard vague et triste et contenait, retenait tout entière, tendrement pressait sa lumineuse beauté. Et désormais ceux qui aiment les vastes spectacles du ciel, vont souvent regarder dans l’étang.

Heureux, le cœur ainsi défleuri, ainsi saccagé, si maintenant  plein de larmes, il peut lui aussi refléter le ciel »

 

Si je refléte le ciel, rien de tout ce que j’ai vécu, douleur et larmes, ne sera perdu ; mon âme reconnaissante à la vie, s’échappera lentement vers la lumière céleste, comme à vingt ans, ivre d’azur, je ressusciterai

 

MJA

 

 

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10 octobre 2010 7 10 /10 /octobre /2010 19:44

Marcel Proust

 

A la recherche du temps perdu

Du côté de chez Swann

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1954


 P.3.

 

“Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors » Et, une demie heure, après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ;  je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même  ce dont parlait l’ouvrage : (...)

 

Marcel Proust est un grand théoricien de la lecture. La lecture, est selon moi, un fil rouge de la Recherche.

 

La lecture, comme la Recherche est une histoire de mémoire et de temps.

 

Les soirs de chagrin, j’ouvre la Recherche,et mon coeur endolori de solitude, s’apaise. MJA

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17 juillet 2010 6 17 /07 /juillet /2010 19:50

11 juillet 2002-

Un jour après l’autre. C’est comme ça.


Marcel PROUST

A la recherche du temps perdu

Du côté de chez Swann

Gallimard


« Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m’a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.

Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (Parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé  dans son infusion de thé ou de tilleul.. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avaient quitté ses jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents ; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé ; les formes- et celles aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot –s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps comme des âmes à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. » P.46 et 47


Je lis et relis ce texte sans jamais m’en lasser. Il dit la force du souvenir qui peut réinventer les âmes. Cathy, c’est ça que je veux faire avec mon collage, avec mon texte en morceaux. C’est retrouver ton âme et la mienne puisqu’elles sont toutes deux collées depuis ma naissance. Tu avais cinq ans lorsque je suis née. Le temps de ma vie je l’ai toujours partagé avec toi, jusqu’au 22 juin 2002, jour où tu as choisi l’éternité. Je m’en vais à la recherche du temps de nos âmes soeurs. Je chercherai patiemment, obstinément. Je le trouverai ce temps sororal parce que j’ai la volonté. Je le trouverai dans nos mots et dans ceux de nos livres. Nous avons partagé tant de mots ! Nos mots ne sont pas perdus. Ils sont dans ma mémoire et dans mon coeur. Tant que je vivrais ils vivront. Je les écrirai et dans le coeur de ceux qui me liront ils vivront encore et seront plus fort que ta mort et que la mienne. Les mots se transmettent et les souvenirs inventent  un passé plus fort que nos morts, inventent la vie. C’est comme ça.  Un jour de maladie, tu m’as dit, et j’ai tremblé : « on ne meurt jamais, on vit dans le coeur des autres ».  Ce jour là, j’ai eu peur que tu meurs. C’était affreux ! J’ai recroquevillé mes oreilles, j’ai fripé mes yeux et même j’ai serré les dents. Je ne voulais pas de ta phrase et alors je n’ai rien dit. C’était un instant très fort dans lequel ta mort voulait se glisser. Je ne voulais pas laisser faire. J’aurai dû t’embrasser mais je me suis murer parce que ça faisait trop mal. Maintenant, l’instant est passé. Restent tes mots. Je les aime et les recueille. Ma soeur chérie, ma soeur aimée tes mots vivront en moi. D’une main, je prends ton âme devenue éternelle et de l’autre j’écrirai ma recherche temporelle. Nous allons faire une jolie traversée du temps, soeurette,  je te le promets.


         Grand Larousse en cinq volumes : Marburg/recteur :

         « Métempsycose : ou métempsychose. Réincarnation de l’âme après la mort dans un corps humain ou dans celui d’un animal ou dans un végètal. (Certains peuples ont fait de la métempsycose une croyance fondamentale : les anciens égyptiens, les Hindous) (p.2027)


         Si tu le veux bien, dans le temps de mon inspiration et de ton souvenir, je te réincarnerai ; tes mots dans les miens, nous tracerons ma possible écriture. Quand nous étions Petites filles, nous jouions et nous disions « on dirait que... ». Maintenant, jouons encore : « on dirait que j’écrirais et que ça ferait « métempsycose ». J’aime bien ce mot, ça fait grande personne. Tu te souviens, nous aimions jouer aux grandes personnes et nous inventer des histoires fantastiques. Surtout toi. Tu savais si bien inventer les histoires de fantômes  et de revenants !  J’avais peur et c’était bien... A mon tour d’inventer et de nous raconter. Il était une fois, dans le pays lointain des humains, deux soeurs qui s’aimaient tendrement. Toutes deux , jours et nuits lisaient des histoires de merveilles et de dragons, de belles princesses et de princes charmants et avec leurs livres, comme avec des quenouilles elles tissaient le temps. Mais un jour tragique, celui du deuxième jour de l’été de la deuxième année du deuxième millénaire, la soeur aîné dans un souffle, dans un sourire s’envola au ciel. Sa cadette pleura si fort  qu’on dit qu’elle faillit en mourir. C’est alors que tous les livres de la terre vinrent à son secours. Ils lui dirent dans leur souffle de livres : « Petite, tourne les  pages et  lis, jours et nuits !  Lis comme tu respires, lis à petites lignes, avance à petits pas et dans chaque interligne tu retrouveras ta soeur chérie » La pauvrette sécha ses larmes et commença à lire, à transcrire et enfin à écrire. C’est ainsi que, dans le mouvement des livres et de la consolation fut créer Métempsycose, texte du second millénaire mais qui se réfère aux textes des anciens . Le temps de lire est celui de toujours,  celui de l’éternité et c’est pour cela qu’il console de la mort. Presque

 Je vais me coucher.


12 juillet 2002-

Hier, avant de m’endormir, je pensais à Schahrazade, celle là même qui racontait des histoires au Sultan pendant Mille et nuits pour ne pas mourir. Je ferais comme elle, pour ne pas mourir et  pour que tu revives dans mes pages, je raconterais milles et une histoires, je te lirais milles et un livres, dans ton éternité tu ne t’ennuieras pas et moi dans mon sage présent, je transmettrais à ceux que j’aime ce que j’aime ; ça fera métempsycose et enseignement et peut-être harmonie. J’aime lire et j’aime l’harmonie.

 

17 juillet 2010

A relire ce texte si douloureux, passage d’un texte inédit « Métempsychose », je me demande, si ce n’est pas ce jour du 12 juillet 2002, que se creusèrent en moi les premiers sillons des premières semences de ce curieux blog, si fragile de son éternité « Les inventeurs de lectures ». MJC

 

Une citation de Proust (de mémoire)

 

"On attend un grand malheur pour se mettre à travailler"


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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 17:05
Marcel Proust

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours (4)


Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971


Les Plaisirs et les jours

La confession d’une jeune fille

II. Pages 88, 89, 90


« Comment toute cette eau fraîche de souvenirs a-t-elle pu jaillir encore une fois et couler dans mon âme impure d’aujourd’hui sans s’y souiller ? Quelle vertu possède  cette matinale odeur de lilas pour traverser tant de vapeurs fétides sans s’y mêler et s’y affaiblir ? Hélas ! en même temps qu’en moi, c’est bien loin de moi, c’est hors de moi, que mon âme de quatorze ans se réveille encore. Je sais bien qu’elle n’est plus mon âme et qu’il ne dépend plus de moi qu’elle la redevienne. Alors pourtant je ne croyais pas que j’en arriverais un jour, à la regretter. Elle n’était que pure, j’avais à la rendre forte et capable dans l’avenir des plus hautes tâches. Souvent aux Oublis, après avoir été avec ma mère au bord de l’eau pleine des jeux du soleil et des poissons, pendant les chaudes heures du jour, - ou le matin et le soir me promenant avec elle dans les champs, je rêvais avec confiance cet avenir qui n’était jamais assez beau au gré de son amour, de mon désir de lui plaire, et des puissances sinon de volonté, au moins d’imagination et de sentiments qui s’agitaient en moi, appelaient tumultueusement la destinée où elles se réaliseraient et frappaient à coups répétés à la cloison de mon cœur pour l’ouvrir et se précipiter hors de moi, dans la vie. Si, alors, je sautais de toutes mes forces, si j’embrassais mille fois ma mère, courais au loin en avant comme un jeune chien, ou rester indéfiniment en arrière à cueillir des coquelicots et des bleuets, les rapportais en poussant des cris, c’était moins pour la joie de la promenade elle-même et de ces cueillettes que pour épancher mon bonheur de sentir en moi cette vie prête à jaillir, à s’étendre à l’infini, dans des perspectives plus vastes et plus enchanteresses que l’extrême horizon des forêts et du ciel que j’aurai voulu atteindre d’un seul bond. Bouquets de bleuets, de trèfles et de coquelicots, si je vous emportais avec tant d’ivresse, les yeux ardents, toute palpitante, si vous me faisiez rire et pleurer, c’est que je vous composais avec toutes mes espérances d’alors, qui maintenant comme vous, ont séché, ont pourri, et sans avoir fleuri comme vous, sont retournées à la poussière.


Ce qui désolait ma mère, c’était mon manque de volonté. Je faisais tout par l’impulsion du moment. Tant qu’elle fut donnée par l’esprit ou par le cœur, ma vie, sans être tout à fait bonne, ne fut pourtant pas vraiment mauvaise. La réalisation de tous mes beaux projets de travail, de calme, de raison, nous préoccupait par-dessus tout, ma mère et moi, parce que nous sentions, elle plus distinctement, moi confusément, mais avec beaucoup de force, qu’elle ne serait que l’image projetée dans ma vie de la création par moi-même et en moi-même de cette volonté qu’elle avait conçue et couvée. Mais toujours je l’ajournais au lendemain. Je me donnais du temps, je me désolais parfois de le voir passer, mais il y en avait encore tant devant moi ! Pourtant j’avais un peu peur, et sentais vaguement que l’habitude de me passer de vouloir commençait à passer sur moi de plus en plus fortement à mesure qu’elle prenait plus d’années, me doutant tristement que les choses ne changeraient pas tout à coup et qu’il ne fallait guère compter, pour transformer ma vie et créer ma volonté, sur un miracle qui ne m’aurait coûté aucune peine. Désirer avoir de la volonté n’y suffisait pas. Il aurait fallu précisément ce que je ne pouvais sans volonté : le vouloir. » Marcel Proust


La volonté ou son manque sont au cœur de la Recherche. Le narrateur si mondain comme métaphore de Marcel qui ne s’est mis au travail de cette Recherche du temps perdu, celui d’avant la création, que très tard. Le Temps retrouvé sera donc le temps de sa création, le temps de sa si précieuse mise au travail.


Moi, je suis un peu comme Marcel Proust ! J’ai eu un grand problème de volonté avant de me mettre au travail de ce blog, qui constitue mon Temps retrouvé, je lisais sans cesse pour repousser  le moment de mon écriture… Mais ça y est, j’y suis !!! MJC



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16 avril 2010 5 16 /04 /avril /2010 11:38
Marcel Proust

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours (3)

 

Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971

 

Les Plaisirs et les jours

Portraits de peintres et de musiciens

Portraits de musiciens (P.83)

Schumann

Du vieux jardin dont l’amitié t’a bien reçu,

Entends garçons et nids qui sifflent dans les haies,

Amoureux las de tant d’étapes et de plaies,

Schumann, soldat songeur que la guerre a déçu.


La brise heureuse imprègne, où passent des colombes,

De l’odeur du jasmin l’ombre du grand noyer,

L’enfant lit l’avenir aux flammes du foyer,

Le nuage ou le vent parle à ton cœur des tombes.


Jadis tes pleurs coulaient aux cris du carnaval

Ou mêlaient leur douceur à l’amère victoire

Dont l’élan fou frémit encore dans ta mémoire ;

Tu peux pleurer sans fin : elle est à ton rival.


Vers Cologne le Rhin roule ses eaux sacrées.

Ah ! que gaiement les jours de fêtes sur ses bords

Vous chantiez ! – Mais brisé de chagrin tu t’endors…

Il pleut des pleurs dans les ténèbres éclairées.


Rêve où la morte vit, où l’ingrate a ta foi,

Tes espoirs sont en fleurs et son crime est en poudre…

Puis éclair déchirant du réveil, où la foudre

Te frappe de nouveau pour la première fois.


Coule, embaume, défile aux tambours ou soit belle !

Schuman, ô confident des âmes et des fleurs,

Entre tes quais joyeux fleuve saint des douleurs,

Jardin pensif, affectueux, frais et fidèle,

Où se baisent les lys, la lune et l’hirondelle,

Armée en marche, enfant qui rêve, femme en pleurs !


Marcel Proust.


Quel talent il a ce Proust !!! MJC

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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 10:51
Marcel Proust

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours (4)


Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971


Les Plaisirs et les jours

Portraits de peintres et de musiciens

Portraits de musiciens (P.82)

Chopin

« Chopin, mer de soupirs, de larmes, de sanglots,

Qu’un vol de papillons sans se poser traverse

Jouant sur la tristesse ou dansant sur les flots.

Rêve, aime, souffre, crie,apaise, charme ou berce,

Toujours tu fais courir entre chaque douleur

L’oubli vertigineux et doux de ton caprice

Comme les paillons volent de fleur en fleur ;

De ton chagrin alors ta joie est la complice ;

L’ardeur du tourbillon accroît la soif des pleurs

De la lune et des eaux pâle et doux camarade,

Prince du désespoir ou grand seigneur trahi,

Tu t’exaltes encore, plus beau d’être trahi,

Du soleil inondant ta chambre de malade

Qui pleure à lui sourire et souffre de le voir…

Sourire du regret et larmes de l’Espoir ! »


Marcel Proust


La chambre du malade qu’est Marcel Proust, inondée de soleil  et de réminiscences de peintres, d’écrivains, de musiciens. Nous sommes déjà, dans ces premiers écrits, au cœur de l’univers proustien que sera celui.de la Recherche. MJC


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10 avril 2010 6 10 /04 /avril /2010 21:36
Marcel Proust

Jean Santeuil

Précédé de

Les plaisirs et les jours (3)


Edition établie par Pierre Clarac

Avec la collaboration d’Yves Sandre

Bibliothèque de la Pléiade

Nrf Gallimard 1971


Les Plaisirs et les jours

Portraits de peintres et de musiciens

Portraits de peintres (P.81)

Antoine Watteau


"Crépuscules grimant les arbres et les faces,

Avec son manteau bleu, sous son masque incertain ;

Poussière de baisers autour des bouches lasses…

Le vague devient tendre, et le tout près, lointain.


La mascarade, autre lointain mélancolique,

Fait le geste d’aimer plus faux, triste et charmant.

Caprice de poète – ou prudence d’amant,

L’amour ayant besoin d’être orné savamment -   

Voici barques, goûters, silence et musique. »


Marcel Proust

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