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6 juin 2011 1 06 /06 /juin /2011 14:54
La Jalousie

Délices et tourments

Marcianne Blévis

Seuil, mars 2006

(206 pages)

(3)

 

Chapitre I.

L’étrange appel de la jalousie

(P.25-41)

 

Nous la nommerons avec Marcianne, Cléa.

Cléa c’est l’histoire d’un point de grammaire : « Tu ne sauras combien je t’aurai aimée ».. Un point de grammaire soulevé par son amant, dans un espace-temps si douloureux Cléa se laisse emporter dans déferlement d’une soudaine jalousie « immotivée » confie-t-elle à Marcianne Blévis, son analyste qui va l’écouter sans relâche jusqu’au temps advenu d’une grammaire moins impitoyable pour Cléa. C’est déjà le premier point que j’ai souligné dans ce chapitre qui nous apprends, que nous pauvres humains, nous sommes avant tout une grammaire douloureuse ou heureuse. Nous vivons saisie par notre grammaire, espace intermédiaire, dirait Winnicott avec les autres. Qui est l’auteur de cette grammaire de notre vie ? Nous-mêmes ou les autres ? Difficile de répondre. J’ai souvenir d’une citation de Lacan : Dans la situation d’analyse, il n’y a pas deux personnes qui parlent mais trois personnes : l’analysant, l’analyste, le sujet de l’inconscient. Le souvenir de cette citation est lointain et peut me trahir. Je m’en excuse alors auprès des purs lacaniens. Mais ce que je veux dire c’est que lorsqu’on est deux à parler, on est peut-être trois, voire même quatre !!! Moi, l’autre, et nos deux langues d’enfance ! Ce que j’ai aimé dans ce chapitre toujours écrit avec clarté mais avec une grande exigence théorique c’est la façon dont l’appel de la jalousie est doublée de l’appel à la langue d’enfance de Cléa et ces deux appels mutuels font sens et donc guérison. C’est très beau.

Pour Cléa, comme les autres, la jalousie est un rythme, est un gouffre, est un espace temps cruel , sauvage, qui les dépossède d’eux-mêmes, qui sur leur vie inscrit le fatidique « ne plus être aimé » inscrit la solitude soudaine liée à l’amour rendu impossible par la tragique duplicité des mots : duplicité parceque le langage symbolique de tous, celui partagé par la langue commune se double de la langue d’enfance provoquant la perte au présent du sentiment de soi, dévalorisant ainsi les jaloux, en l’occurrence Cléa et survalorisant du même mouvement son amant et «  sa potentielle rivale ».

Je ne vous raconterai pas l’histoire de Cléa ; ce serait faire injure à l’auteure, si sublimement praticienne, qui la raconte si bien. Il était une fois Cléa, son enfance, ses drames, ses pertes, son enfer, son père, sa mère, ses facades, il était une fois son enfance, son secret, il était une fois son enfance ses souvenirs. Il était une fois la projection violente de tout ça dans sa grammaire actuelle, soudain diffractée par son chagrin passé qu’elle livre à sa psychanalyste dans le fil des séances, dans sa langue d’enfance. Marcianne Blévis, psychanalyste, attentive à ses mots comme à ses rêves, à ses rêves comme à ses cauchemars, à ses cauchemars comme à ses affects, à ses affects comme à ses silences, l’écoute l’aidant ainsi à réintégrer une grammaire amoureuse plus douce rendant l’amour pour un autre, son amant, possible, une fois la confusion des sentiments passée par la réappropriation de la langue d’enfance mais surtout par la réappropriation d’elle-même et de sa vie de femme. Cléa, femme hors d’atteinte de son amant, prisonnière de son enfance, va redevenir femme adulte, à proximité de l’amour. Elle aura vaincu ses peurs et ses douleurs d’enfance grâce à sa psychanalyse mais surtout grâce à Marcianne Blévis, porteuse de psychanalyse qui de séance en séance, faisant comme Freud, un patient travail d’archéologue, habitant les ruines psychiques de Cléa l’aidera à coup de pioche, à coup de mots, à coup d’interprétations signifiantes et transférentielles à reconstruire ses ruines et telle une historienne à utiliser ses archives existentielles pour donner sens à sa vie présente grâce à sa vérité retrouvée. La jalousie sera vaincue, la grammaire pathologique sera « reconnue » dans sa langue d’enfance, et la femme adulte parlera une langue adulte, grammaticalement possible à vivre qui lui permettra nous l’espérons avec elle deux d’épeler dans un doux paysage, dans la la langue du tendre, le mot « Amour ».

J’ai aimé ce chapitre si plein d’espoir sur l’humain, qui est le récit d’une « victoire » écrirait Boris Cyrulnik (voir mon article d’hier, catégorie Les tout-petits), une victoire sur l’enfance qui parfois fait si mal mais qui porte aussi en elle tous les chemins du verbe aimer au risque d’une conjugaison difficile mais toujours possible.

Merci à Cléa et à Marcianne d’avoir tracé à nouveau les balises de ce verbe aimer garant de la promesse du recommencement, garant du possible espoir, pour Cléa et pour tant d’autres. La psychanalyse c’est ça aussi ; une grammaire de l’amour à reconquérir et donc, pour cette reconquête, splendidement menée, malgré la douleur et racontée à nous,

 

A toutes les deux,  bravo !!! MJA

 

 

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