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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 15:35


Dans mes mains, un livre ouvert :


Le handicap par ceux qui le vivent

Sous la direction de Charles Gardou

Erès. Reliance 2009


Ouvert au chapitre : « Les Yeux ont inventé la nuit par Maudy PIOT

( page 135-148)


J’ai lu ce chapitre comme une longue confidence d’intelligence, comme un cri dans la nuit, dans sa nuit à Maudy, dans ma nuit. Maudy, avec ses livres, éclaire nos nuits mais la sienne surtout.


Commencer sagement par le début, même si profondément émue par ma lecture, j’aimerai dire la fin : son cadeau d’amour à nous.


Le début donc de ce chapitre, la présentation de Charles Gardou dont la direction de ce livre insuffle la vie et l’expression de ces témoignages ; Charles Gardou, qui comme Socrate permet à chacun, chacune, l’accouchement du texte en devenir. Ils nous présente donc Maudy ainsi et je le cite dans le mot à mot de son désir d’écrivain :


« Maudy Piot est l’auteur de « Mes yeux s’en sont allés. Variation sur le thème des perdant la vue. » Ses difficultés visuelles l’ont contrainte à abandonner ses études de médecine : après avoir été infirmière, elle est devenue kinésithérapeute et elle est aujourd’hui psychanalyste. Très tôt militante (« Dès avant ma naissance » a-t-elle coutume de dire ), elle a créé en 2003 l’association des Femmes pour le Dire, Femmes pour agir, où elle lutte contre la double discrimination dont sont encore victimes les femmes en situation d’handicap. »


Et le chapitre commence dans la splendeur de l’humain quand Maudy écrit qu’avant tout  elle est une personne et un être vivant. Une personne et une femme vivante, voilà ce que nous révèle ce chapitre.


Elle refuse d’être réduite à un substantif : « une handicapée » et déjà perce dans la nuit son intelligence qui fait clarté. J’aime comment elle repère la violence du langage qui transforme sans crier gare le participe passé « handicapé » en nom commun « handicapé(e )». J’aime l’analyse du langage qui en dit tant  sur l’humain parlant. Voilà que par la réduction à un lugubre et mortifère substantif de la femme qu’elle est,  chute sa féminité, sa presque complétude de femme avec des droits  et des devoirs de citoyenne, sa presque complétude de femme inscrite dans sexualité et séduction, inscrite dans une possible maternité, inscrite dans une profession où se joue son potentiel d’intelligence. Oui, c’est ça la substantiver c’est l’exclure de ses naissances et de ses morts successives qui à chaque fois l’écrivent femme qui parle et qui agit, qui rêve et qui aime, qui invente et qui crée, c’est l’exclure du sujet de sa phrase si nécessaire : « moi, Maudy, femme, je vis. » Je vis entre sérénité et angoisse. Ses angoisses, elle nous les confie dans la simplicité, la tendresse de son texte. A nous, de les recueillir avec amour. A nous de la lire avec empathie mais non avec compassion. Une fois de plus, comme les auteurs des autres chapitres de ce livre, elle affirme avec vivacité et fermeté que le handicap ne peut être sujet de compassion. Oui, ce qu’elle affirme c’est qu’aussi loin que remonte son handicap, elle a fait preuve de son être au monde « capable autrement ». Et Maudy, la malvoyante, trahie par ses yeux et sa nuit écrit un chapitre sur le regard des autres portées sur sa nuit. Oui, c’est cela on peut avoir les yeux confisqués pour cause de maladie mais cela n’empêche pas de sentir très fort le « regard » des autres porté sur soi, ce regard qui ne comprend rien à rien et qui fait cumul avec l’angoisse existentielle et la maladie, qui fait d’elle « un papillon de nuit dans la grande clarté du monde » alors que tout simplement elle est, j’en suis convaincue « papillon de vie dans l’immense savoir du monde ». Papillon de vie, papillon d’intelligence. Oui bien sûr, Maudy parle de sa différence et de sa souffrance, de sa force de refuser le handicap, de sa ruse pour inventer mille et une stratégies pour la camoufler cette différence. Mais ce n’est pas de cela que je vous parlerai. Je vous parlerai de son intelligence qui a tant ébloui  ma nuit de femme à la dérive de mon ignorance que j’essaie « de refuser », inventant des stratégies moi aussi, pour la camoufler par mes lectures et l’écriture quotidienne de mon blog.


Au coeur de son chapitre, je lis deux sous-chapitres concis mais lumineux d’intelligence :


I. « Se reconnaître dans le regard d’autrui. »


Maudy Piot fait référence à plusieurs auteurs et ces nombreuses références me donnent le désir de passer ce printemps en bibliothèque et de la suivre dans ses chemins de savoir ; elle nous propose des textes fondamentaux, relatifs au concept non moins fondamental de « reconnaissance » :


1° Ricoeur :

Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance , Paris Gallimard, coll. « folio essais,2004


Dans reconnaissance, il y a connaissance ; Paul Ricoeur montre comment subtilement, dans la douceur des nuances du savoir et du langage, nous passons de l’un à l’autre, mais surtout dans « l’imperceptible  non dit ». Ricoeur dégage 3 significations au verbe reconnaître : reconnaître comme distinguer, reconnaître comme s’identifier, reconnaître comme courir le risque du malentendu.


Maudy insiste sur le risque du malentendu pour les « handicapés » réduits au substantif et à la méconnaissance de leur singulier mais aussi de leur pluriel qui les écrivent humain, certes dans du générique mais aussi dans l’unique de leur personnalité. Le malentendu est au coeur du vécu des personnes capables autrement vivant trop souvent le passage de la méprise au mépris qui fait passer son chemin à celui qui devrait reconnaître bien plus que compatir et discriminer.


2° Nietzche

Connaître, c’est entrer en osmose et non asservir. Connaître quelqu’un c’est reconnaître sa dignité et non violer sa différence.


3° Hegel

Hegel situe la reconnaissance dans la dialectique Maître/Esclave et pose le problème de la soumission qui supplée à l’échange. L’esclave s’identifie alors au maître mais le maître ne peut être reconnu par quelqu’un qu’il méprise. Selon Hegel que cite Maudy Piot : « toute conscience humaine a besoin de la reconnaissance par une autre conscience pour exister en tant que telle. »


4° Jacques Lacan :

Maudy présente le stade du miroir élaboré par Lacan quand l’enfant jubile dans son miroir à condition qu’il soit tenu par une mère aimante. Sa jubilation, sa joie d’être lui suppose d’abord le regard reconnaissant de la mère


5° Winnicott

Lui aussi insiste sur le regarde structurant de la mère pour l’enfant. Seul l’amour permet la reconnaissance et c’est là le chagrin pour la personne capable autrement qui est vécue comme « dérangeant son prochain ». alors c’est une rude lutte pour atteindre la dignité d’homme ou de femme.


Nécessité de la reconnaissance de l’autre pour se situer dans la dignité : c’est là l’écueil douloureux que doit vivre la personne qui porte un handicap qui « l’invalide » dans sa capacité d’humain en toute chose égale aux autres c’est pour cela qu’elle raconte  son combat quotidien pour rester avec tous, pour rester égal à tous avec (et non malgré) son handicap. Ainsi, invente-t-elle sa liberté de femme qui la poussa à frapper à la porte d’un psychanalyste puis de devenir à son tour psychanalyste. C’est le temps de Lacan.


Chacun désire être reconnu et aimé pour ce qu’il est dans ses failles et dans sa force, entre vulnérabilité et force écrit Charles Gardou. Chacun a besoin d’être reconnu dans sa singularité et accueilli dans le pluriel de tous sinon ça fait du tragique à réparer et c’est le second sous chapitre au coeur de la réflexion de Maudy Piot :


 II. Réparer l’injustice

Il est temps pour Maudy Piot de raconter son engagement dans son aventure lacanienne. Elle le fait avec fougue et érudition. Elle partage ses réflexions issues de ses lectures et de son expérience.


Elle revient sur le stade du miroir et sur l’engagement de chacun à être connu, reconnue par la mère et du « c’est moi » qui naît du « c’est toi ». Du « un » qui naît du « deux ». (Du côté de Hannah Arendt et de Levinas.).  Du côté de tous, ces chercheurs d’humanité, ces chercheurs d’identités. Passionnant. Mais revenons à Lacan et à Maudy Piot.


La personne handicapée, elle aussi est  mais elle se heurte à un miroir de la peur de ce dont ne veut pas : la faiblesse, la différence morcelant, la différence qui fait mal au Narcisse qui se penche sur l’eau pour se sentir si beau, un miroir de la peur qui structure rejet et agressivité, qui structure solitude et chagrin jusqu’à la révolte. Et c’est l’histoire de l’assujettissement du manque. C’est l’histoire du rejet, de l’exclusion, de la violence. C’est l’histoire de l’amour qui ne peut se donner, qui ne peut-être, qui ne peut-être reçu. (Voir mon article Moi, Lacan et l’autre).


Maudy démonte avec  talent le système des projections qui emprisonnent les personnes handicapées comme dans une toile d’araignée. Je te donne de la compassion même si tu n’as besoin que de dignité, je te donne de « l’amour » même si tu n’as besoin que de reconnaissance. Reconnaissance et amour, ce n’est pas du pareil au même, je te donne de l’avoir, des fauteuils roulants et des cannes blanches même si tu as surtout besoin d’être validé dans un processus d’égalité, je souligne ton manque même si tu as besoin justement de presque l’oublier. Je te mets du toujours immobile, du définitif mortifère même si tu souhaites être ouvert sur de la mouvance, de la progression, je t’enferme dans ton noir même si tu rêves de lumière, je te livre à la fadeur de l’uniformité même si tu rêves de saveur et tout ça au nom de l’amour !


.


Mais pour conclure, sur vos mots Maudy Piot, je veux dire combien j’ai aimé votre travail, votre écriture, qui emportent à la fois de la faiblesse et du savoir, de la révolte et de la sagesse et qui surtout laissent pressentir votre identité de femme psychanalyste. Je ne sais pas si vos yeux ont inventé la nuit mais je sais, j’en suis certaine, votre identité de femme a inventé du possible pour bien d’autres humains.

 


Alors merci Maudy Piot et bonne continuation !


MJC






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