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18 juin 2009 4 18 /06 /juin /2009 07:44

Handicap, force, vulnérabilité (2)

Rencontres, débats avec Charles Gardou

28 mai 2009 (entrée libre)

 

Nous retranscrivons dans cet article nos « notes d’écoute » de la deuxième conférence de cette journée intitulée Handicap, force et vulnérabilité. Dans cette conférence Charles Gardou reprend les grandes lignes de la préface : D’argile et de marbre » de son livre Pascal, Frida Khalo et les autres.

Le compte-rendu de la 1ère conférence est intitulée : Charles Gardou : Le devoir d’humanité. ( Voir blog même catégorie : force et vulnérabilité)

 

Méthode de travail : j’ai repris mes notes prises dans le fil des phrases et des mots précis  de Charles Gardou  puis j’ai étoffé cette retranscription de sa préface et de certaines de mes associations d’idées venues là au moment de la retranscription. Ce texte est donc une mosaïque de retranscription de mot à mot, de relecture d’un écrit (la préface) et bien sûr de re-création personnelle. Je souhaite ainsi rendre au plus près l’étonnante force de travail, d’intelligence et de profonde sensibilité qui émanaient de cette conférence toute aussi brillante qu’émouvante.

 

Je commence donc, mais que Charles Gardou me pardonne, je commence par une image qui m’est propre, mais qui, j’en suis certaine retiendra son attention.

 

Récemment, j’ai eu la chance de me promener dans les pavillons de la biennale de Venise. Une œuvre d’art m’a profondément émue. Elle était signée du Camerounais Pascal Martine Tayou. Elle représentait le continent africain comme un assemblage de porcelaine brisé. Probablement parce que j’avais déjà entendu Charles Gardou et à ma façon de toujours inventer ce que je perçois, j’imaginais une nouvelle œuvre d’art qui serait une forme humaine constituée de porcelaine brisée. Charles Gardou écrit dès les premières lignes de sa préface que l’humanité fait un «  bruit de porcelaine brisée » alors qu’elle se croit forte. C’est à se croire si forte qu’elle se brise.

 

Cette conférence est à l’écoute du son brisé et cristallin de l’humain.

Cette conférence est ce bras tendu, ces mains tendues quand elles recueillent la fragile porcelaine pour en constituer l’espoir de la solidarité. La fragilité est énoncée dans sa dialectique avec le sentiment de force et non dans sa rupture, et non dans son opposition à la force. C’est la seule attitude humaine possible, constructive, respectueuse. L’être humain EST fort et vulnérable même si cette vulnérabilité et cette force ne sont pas réparties égalitairement. Mais cette inégalité, cela est certain est à tout instant en suspend dans la vie de chacun. Elle est provisoire. Rien n’est jamais acquis à l’homme dit le poète, dit aussi Bouddha. L’homme au cœur de sa force peut rencontrer de façon inattendue sa  vulnérabilité mais  au cœur de sa vulnérabilité il peut rencontrer sa force.

L’espoir peut décupler les forces vitales de tous ceux qui savent emprunter les interstices existant entre les morceaux brisés de la porcelaine. L’être humain est à même de vivre des situations imprévues parce que l’homme construit, supplée, s’adapte. Ainsi une entrave peut devenir motrice d’adaptation.

 

Le handicap incarne cette éclosion de facultés de suppléance et dit Charles Gardou, l’assèchement apparent peut susciter une floraison de la vie.

 

Vous savez, j’ai dans mon jardin, un abricotier tout noué, voire même calciné, qui un jour a été foudroyé. Si vous saviez comme ses branches, la saison venue sont alourdis de fruits ! C’est à mon arbre fruitier que les mots de Charles m’ont fait penser. Mais ajoute-t-il, à contrario, des forces intactes ne garantissent pas le désir de vivre.

 

Vulnérabilité donc inhérente à la blessure d’être humain, à la blessure qu’emporte le handicap physique ou psychique mais chacun, chacune aux prises avec cette blessure la transcende pour continuer d’être et c’est le devoir d’humanité de chacun d’aider son prochain à  situer dans l’ordinaire du quotidien cette faille là et non de la statufier, de la pétrifier par un regard réducteur. Faire vivre par notre pouvoir de reconnaissance de l’être et non du handicap auprès de ceux qui ne se sont jamais résignés, qui se sont rebellés, qui ont refusé le double processus mortifère de la maladie et du regard déshumanisé que parfois pose le passant « sur eux » les évidant de leur force vitale et de leur sublime transcendance.

 

Sublime transcendance parce que si souvent se retourne le handicap pour donner « une nimbe à la clarté », de la vie si quotidienne, à la clarté de l’ordinaire. Charles Gardou, raconte le combat de ceux qui se sont emparés de la vie, de leur vie pour lui redonner sa hauteur.

 

Le devoir d’humanité, c’est dans la solidarité avec celui qui souffre de lui donner la possibilité de le sortir de la détresse engendrée par la dissociation du handicap, c’est reconnaître aux plus inaperçus le droit d’exister et de sublimer leur vie parce que la blessure n’est pas une totale négation. Le handicap provoque à exister. Le handicap impose limites et détresse, il réduit en poussière des projets mais jamais, au grand jamais, il n’empêche d’être. Toute vie dépouillée a son vernis et renvoie à une fragilité d’être, à une fragilité d’identité et la solidarité, la vraie c’est celle qui se niche dans la profonde prise de conscience de cette fragilité qui est la nôtre, inhérente à l’humanité. Chaque homme est un continent de porcelaine brisée. Chaque homme, doit un jour entendre le tintement de sa vaisselle éclatée par la souffrance et le manque et non la loger dans l’autre et non asseoir sa force sur la faiblesse de son prochain. La vraie force est celle qui repose sur la reconnaissance de sa propre vulnérabilité. Nier cela serait pure vanité.

 

La fragilité est à fleur d’épiderme et l’humanité se pervertit dans la célébration excessive de la force. L’humanité ne doit être constituée de faibles et de forts sinon on aboutit à une humanité de battants et de battus, à une humanité vidée de ses valeurs d’amour et de solidarité, à une humanité lamentable, à une humanité présomptueuse, à une humanité de miroirs brisés ne pouvant soutenir le mensonge de l’homme idéalisé.

 

Il est urgent de s’interroger et de proclamer la valeur humaine des plus vulnérables.

 

Il est urgent de reconnaître en soi et en l’autre la faille dans laquelle peut prendre racine notre arbre de vie.

 

Il est urgent de s’assumer fragile.

 

Il est urgent de ne plus ignorer notre destin d’humain fait d’argile et de marbre.

 

Il est urgent de ne plus se mirer dans une image idéalisée de l’homme.

 

Il est urgent de replacer la personne porteuse de handicap dans une vraie chaîne culturelle et de lui donner accès à Venise.

 

Il est urgent de replacer la personne porteuse de handicap dans l’ordinaire de la vie et de la sortir du soi-disant extra-ordinaire de sa condition.

 

Il est urgent d’être avec la personne porteuse de handicap pour lui permettre (et non pour l’aider) de vivre son destin comme nous dont la fragilité est provisoirement moindre.

 

Il est urgent de reconnaître la force des vulnérables, de s’en nourrir et de les remercier pour ce qu’ils sont au lieu de les plaindre pour ce qu’ils n’ont pas.

 

Il est urgent de vivre dans la dimension de l’être et non de l’avoir.

 

Il est urgent de s’y mettre à être.

 

Il est urgent…

 

Ce que je veux dire, c’est que, ce que j’ai passionnément aimé dans cette journée du 28 mai c’est son éclairage intime.

 

Je sais les lois, je sais le matériel, je sais le spécifique, je sais le concret, je sais le faire. Je sais tout cela et cette urgence quotidienne. Je sais le politique et le social, je sais les financements, je sais les élus, je sais les politiques de gauche et de droite, je sais le bon cœur, je sais les bonnes volontés, je sais le singulier et le pluriel. Je sais tout cela.

 

Mais, je sais maintenant, encore plus qu’avant,  la nécessité de conjuguer ensemble, d’une même voix universelle dans un immense  chœur :

 

Je suis de marbre et d’argile

Tu es de marbre et d’argile

Il ou elle est de marbre et d’argile

Nous sommes de marbre et d’argile

Vous êtes de marbre et d’argile

Ils ou elles sont de marbre et d’argile.

 

Merci Charles Gardou de donner à la clarté une nimbe.

Merci de votre talent, de votre érudition, de votre travail.

Merci de l’espoir que vous nous faîtes partager,

d’un monde entre marbre et argile.

 

MJC

 

 

 

 

 

 

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