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22 avril 2009 3 22 /04 /avril /2009 07:06

Comment parler des livres que l’on  n’a pas lus ?

Les éditions de Minuit

2007

 

 

Comment vais-je vous parler de ce livre que je n’ai pas lu ?

 

Comment vais-je vous montrer une fois encore qu’un livre se réinvente à chaque lecture ? 

 

Un livre peut se commencer par la fin  quand on s’empare avec avidité du joyau, de la perle de l’ huître, tant il est vrai qu’un livre est un écrin. Souvent, j’aime commencer ma lecture par la fin, j’aime en bousculer la chronologie tant il est vrai que la lecture est un temps, j’aime foudroyer le livre tant il est vrai que la lecture est un espace, j’aime l’arracher de son auteur avec violence tant il est vrai que la lecture est une rencontre. Et donc comment finit se livre ? Il finit ainsi :

 

Maintenant, je commence le livre et le lis dans sa chronologie respectée.

 

Pierre Bayard est enseignant de littérature à l’université et de ce fait est souvent amené à parler de livres qu’il n’a pas lus, ceux qui appartiennent à la bibliothèque commune dans laquelle les gens cultivés peuvent se repérer. Cette bibliothèque collective est pour chacun constituée, de livres lus- on non lus, parcourus ou évoqués voire même oubliés. Selon moi les plus importants. Pierre Bayard, écrit à propos des livres oubliés qu’ils définissent l’espace de la perte. Et cela m’intéresse beaucoup. En effet, que de livres ai-je oubliés, que de livres dont il ne me reste qu’une simple trame ou une simple phrase, que le titre même ou son auteur... Mais à partir de ce fragment qui chez moi a fait mémoire, je peux, un jour blanc ou gris, rose ou doré, sombre ou bleu, le sortir « entier » de ma bibliothèque. Chaque livre peut me panser d’une émotion trop vive. Mes livres, sont des pansements, non dans leur entier, non dans leur réalité concrète, mais dans leur souvenir, même infime et c’est cet infime qui, survivant à la perte du livre  fait pansement.

 

Cet espace obscur est ma lumière, mon repaire, ces fantômes sont mes compagnons, mes guides, ceux grâce à qui je tiens debout quand la vie n’en finit pas de me cogner.

 

Pierre Bayard est un érudit et j’aimerai le suivre. Mais il marche vite. Il parle de Musil que je n’ai jamais lu, de Marcel Proust que j’ai tant lu, de Montaigne, de Valéry, de Joyce. Grâce à Pierre Bayard, je pourrais évoquer ces compagnons là, les parcourir et finalement un jour les lire. Car il éveille en moi le désir. Son désir féconde le mien et c’est selon moi la marque d’un « bon livre ». Son cheminement dans « la bibliothèque collective » est cultivée, érudite, passionnée. Je pense en le lisant à la bibliothèque idéale d’Italo Calvino, à celle de Perec si difficile à classer, à la mienne et à ses différents espaces, parfois classée par ordre alphabétique pour les nouveaux livres, parfois classée par thème : les femmes, l’interculturel, la shoah, l’histoire, les livres d’art.

 

Avec Pierre Bayard, je lis, j’associe, je me souviens, j’interroge mon ignorance. Mes lectures, leurs absences, leurs présences et leurs pertes deviennent  mouvement dans ma mémoire qui se fait océan parcouru par des vagues qui m’enroulent moi et mes livres, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas. Avec Pierre Bayard je passe de Hamlet à Musil, de Balzac à Céline, De Montaigne à Descartes, de Marcel Proust à bien d’autres encore.

 

 J’interroge aussi. Quel est le rapport de l’auteur à son oeuvre ? Je découvre :  ce que veut dire ne pas lire. Et je m’arrête pour glaner des brins de blé pour mes ateliers de lecture. Et si ne pas lire était une façon de se protéger de l’immensité de la lecture et si mes stagiaires, lecteurs vacants se protégeaient de l’infiniment grand qui pourraient les engloutir eux et leur manque à être. Si entre manque à lire et manque à être il n’y avait que l’espace si vite franchi du « je ne veux pas lire ». Maintenant, dans mes ateliers, je serai à l’écoute de cela et peut-être ne proposer à ceux-là, « qui n’aime pas lire »,  qu’un livre à la fois, ne pas les noyer dans un choix douloureux.  Merci Pierre Bayard d’avoir souligné avec talent  combien était foisonnante l’aire de la lecture. Une vraie forêt vierge ; pour ne pas être enserrés par ses lianes, reste à inventer nos livres au jour le jour de leur lumière.

 

Pierre Bayard, je n’ai pas encore lu votre livre mais vraiment j’ai envie de le lire avant de l’oublier !

 

Marie-José Colet

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