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8 avril 2009 3 08 /04 /avril /2009 08:23

« Madame, je veux apprendre à lire ». Que me disent-ils là ? Ils me disent qu’ils ont mal de ne pas savoir lire. Je ne leur apprends pas à lire et c’est là pour moi toute la culpabilité de ne pas répondre à leur demande douloureuse. Je leur donne envie de lire. Je leur donne le désir. J’alimente leur demande mais je n’y réponds pas. Je ne suis pas une technicienne de l’apprentissage, je ne suis pas une pédagogue. J’ai une formation de psychologue clinicienne. Mon rêve le plus cher serait de travailler simultanément ou presque, de concert avec un instituteur ou une institutrice, ceux là qui savent admirablement les techniques d’apprentissage. J’aurai donc là un rôle facilitateur mais non exclusif. Je planterai le décor, la tente qui nous abriterait tous. La lecture est un abri. Je le sais à les entendre. Ils abritent leur enfance, leur pays, leur soucis, leur joie. Ils se confient à moi. Je reçois ses confidences avec tact, j’espère. Recueillir l’autre n’est pas facile. Il faut savoir laisser place à l’écoute mais éviter les débordements envahissant pour le groupe. Je propose souvent de reprendre la confidence enfin d’atelier.

Atelier abri. Récits de vie. Récit de vie est « ma technique de base » élaborée par des formatrice de La Base Pédagogique de Soutien . J’ai fait de nombreux stages avec elles et les récits de vie sont pour moi passionnants et riches d’enseignement. Les récits de vie sont une séquence des ateliers mais une séquence variables car certains groupes y résistent d’autres au contraire nagent avec sincérité. Je propose alors des « moments- souvenirs », souvenirs d’enfance, souvenirs d’un lieu, souvenir d’une personne aimée, souvenir d’un bijou offert, souvenir d’un moment tragique ou réussi,  souvenir d’une saveur, souvenir d’un âge. Souvenir. J’invente tout ce qui peut faire mot, tout ce qui peut dénouer le temps pesant préexistant à l’apprentissage. Tout ce qui vient là « encombrer » la tête. Apprendre, lire demande d’être léger. Quand on a trop de soucis, de chagrins on ne peut pas intérioriser la lecture. On ne se concentre plus. L’esprit s’échappe vers d’autres contrées intérieures. Lire c’est bouger et rien ne doit coller aux semelles pour effectuer ce mouvement. Mouvement des yeux, certes mais mouvement de l’âme plus encore. Mouvement des mots . Les récits de vie permettent de se souvenir mais aussi de parler avec les autres, de se déplacer donc dans un temps centrifuge de soi vers les participants du groupe. Séquences souvent pleines de rires mais aussi de larmes.

 Avancer doucement. J’ai souvent peur des débordements d’affects, j’ai peur d’être dépassée. Je travaille sans autre filet que l’antérieur travail sur moi-même que j’ai mené en psychothérapie en psychanalyse Il me paraît essentiel de savoir où j’en suis moi, de mon voyage dans la lecture et dans la vie pour être le guide de ce même voyage pour les autres. La qualité des ateliers en dépend. L’atmosphère, la création, la recréation en dépendent également. Rien n’est plus simple à animer, rien n’est plus complexe que la dynamique d’un atelier de lecture. Instants du temps, précarité du moment toujours à inventer. Douceur en fuite. Force des mots. et alors « habiter le jeu, celui de dire enfin Je.

 Lire c’est dire « son je » à partir d’un autre, l’auteur. S’ y reconnaître. Cela j’aurai pu le dire. Cela j’aurai pu le vivre. C’est à lui, c’est à moi. Qui préexiste à qui ? L’auteur au lecteur ou le lecteur à l’auteur ? Lire c’est parcourir une distance puis soudain l’effacer pour enfin la retracer. Nous sommes sans cesse dans ce jeu avec la distance. Lire c’est franchir une frontière dans les deux sens, en permanence. Au dessus de nous, les nuages qui passent. Le temps qui court. Autour de nous, l’impossible silence. L’auteur parle. Nous parlons. Lire des mots c’est faire du bruit en silence. Etrange paradoxe qui nous traverse et qui nous fait nous sans être nous.  Et c’est pour cela que ceux qu’on dit « illettrés » aiment les livres et disent « Madame, je veux apprendre à lire. » Il veulent apprendre à lire, parce que lire c’est utile, rien n’est plus utile que de lire mais aussi parce que lire c’est voyager dans l’humanité et tous nous avons besoin de ce voyage-là qui nous fait nous.  En atelier de lecture, ce voyage autour de nous-même nous l’effectuons ensemble parce que nous sommes ensemble l’efficacité est plus grande. Dans notre voyage nous nous surpassons, entraînés par les autres. Nous nous enrichissons de parler, de partager, d’écouter. Nous créons notre lecture et nous la dépassons. C’est alors que nous nous atteignons.

J’anime aussi des ateliers de lecture auprès de publics dits « grands lecteurs ». commencé et découvert ma pratique ainsi. J’ai animé un atelier de lecture en hôpital psychiatrique pendant treize ans. J’ai découvert le passage du livre au dire. J’ai découvert comment à partir de la lecture les patients parlaient d’eux-mêmes écouté. Puis, j’ai crée une association Le livre ouvert. Dans le cadre de cette association j’ai animé de nombreux ateliers de lecture : avec des enfants, avec des personnes âgées, avec des personnes de tous âges et de tous milieux sociaux. J’ai animé, j’ai parlé, j’ai lu, beaucoup lu. Seule avec mes livres, je me retrouvais.

Mais la question n’est pas là. La question n’est pas celle de toutes ces années passées à lire et à écouter lire. Vingt cinq ans de ma vie. J’ai 60 ans.

La question est celle de ma bibliothèque, le ventre de mon identité. Ma bibliothèque à partir de laquelle je suis née, à partir de laquelle  je mourrai. Ma bibliothèque grâce à laquelle, j’écoute votre question : « Madame, je veux apprendre à lire » et grâce à laquelle je tente sagement d’y répondre au jour le jour. Ma bibliothèque c’est ma solitude , ma vie et ma mort.

La question est celle de ma nécessité.

 En 1995, dans un de mes nombreux petits carnets, j‘écrivais :

« Aimer c’est entendre le chant des autres. L’écriture ne peut-être qu’à partir de cette musique qui suspend la mort le temps de nos vies.

Je suis un corps de femme sur lequel s’imprime en lettres de vie : « cherche ». Je vis à fleurs de mots, à fleurs d’espoirs, à fleurs d’attente. Mes phrases fuient, s’égarent, s’envolent. Je suis un oiseau qui fait son nid. Quand il sera temps, ça éclora, ça éclairera. 

(Extrait de Madame, je veux apprendre à lire)

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